Aujourd'hui, je publie l'entretien que j'ai réalisé avec Marie Dubois, une correctrice.
Je la remercie encore de m'avoir accordé de son temps.
Bonne lecture!
1) Pouvez-vous vous présenter rapidement ? Avez-vous un site personnel ?
Non, je n’ai pas de site.
Après une licence de lettres modernes, j’hésitais à devenir professeur de lettres, quand j’ai finalement opté pour l’édition.
Je suis depuis près de vingt ans préparatrice de copie et correctrice à domicile à employeurs multiples (on dit simplement « TAD » pour « travailleur à domicile »). Le travail en profondeur sur le texte (ou « manuscrit », que l’on appelle « copie » en édition) est assuré par le préparateur de copie. Le correcteur, lui, intervient sur le premier jeu d’épreuves de façon beaucoup plus légère : il complète le travail du préparateur en corrigeant les fautes qui ont pu lui échapper, qu’elles soient d’orthographe ou de typographie (ce que l’on appelle des « coquilles »).
Ce sont deux métiers à part entière, rémunérés en salaires, à cette nuance près que les salaires ne sont pas fixes, puisque je suis payée à la tâche. Mais il s’agit bien de salaires, avec cotisations sociales et bulletins de paie, je le précise car nombreux sont ceux qui s’imaginent que ce ne sont que des revenus d’appoint, qui s’ajouteraient à ceux d’un autre métier, enseignant ou journaliste par exemple.
2) Comment êtes-vous arrivée au métier de correctrice ?
J’ai découvert ce métier de l’ombre, dont j’ignorais jusqu’à l’existence – comme la plupart des lecteurs –, en rédigeant des fiches de lecture pour une maison d’édition quand j’étais étudiante. Le principe était de confier la lecture de manuscrits à des passionnés (souvent profs ou étudiants), qui en faisaient un compte rendu, avec résumé de l’histoire et répartition détaillée des points forts et des points faibles du texte, en échange d’une modique rémunération. L’éditrice qui me remettait les manuscrits, sachant que j’hésitais à passer les concours de l’Education nationale, m’a expliqué le métier de correcteur, proposé une courte formation en interne avec étude des règles typographiques indispensables, et m’a donné une première chance : se retrouvant un jour sans possibilité de trouver rapidement un remplaçant à un correcteur tombé malade alors qu’il devait travailler sur un livre dont on ne pouvait différer la publication, elle m’a confié l’ouvrage, qu’elle a elle-même supervisé ensuite. Le résultat lui a convenu, et je suis ainsi tout naturellement entrée peu à peu dans son équipe de correcteurs. C’était chose courante à l’époque (début des années 1990), on vous demandait juste une excellente maîtrise de la langue et de la ponctuation, ainsi qu’une bonne culture générale ; pour le reste, on vous formait « sur le tas ». Les choses ont bien changé depuis, les formations aux métiers de l’édition se sont multipliées, et je ne crois pas qu’on puisse encore entrer durablement dans une maison d’édition de cette manière.
Par la suite, j’ai aussi choisi de travailler comme préparatrice de copie. Des deux postes, c’est de loin celui que je préfère, même si je continue à avoir les deux « casquettes », ce qui n’est pas le cas de tous : certains souhaitent ne faire que de la préparation de copie, d’autres que de la correction d’épreuves. Précision importante : en principe, une même personne ne fait pas les deux sur un livre, car il est important que le correcteur ait un œil neuf sur le texte, déjà connu du préparateur qui risquerait donc de ne pas repérer certaines erreurs ou coquilles.
3) Quel genre de documents corrigez-vous ?
Tous, ou presque ! Cependant, les éditeurs ont l’intelligence de me confier des ouvrages correspondant à mon profil. Je suis une littéraire, on va donc éviter de me demander de corriger des livres scientifiques. Mais je travaille aussi bien en littérature, française ou étrangère, que sur des textes traitant de cinéma, musique, peinture, sculpture, politique ou même cuisine (puisqu’on publie de plus en plus de livres de cuisine). Il m’arrive aussi de corriger des essais, rédigés par des historiens ou des philosophes entre autres.
4) Y a-t-il une façon de procéder différente selon le document à corriger ?
Oui, bien sûr : on ne va pas corriger un roman, œuvre de fiction, comme on pourrait corriger une biographie, pour ne prendre que cet exemple. La marge de manœuvre est donnée par l’éditeur. Selon la qualité de la plume de l’auteur, le préparateur de copie aura plus ou moins de travail en profondeur à effectuer sur le texte – ce travail pouvant aller jusqu’à la réécriture de certains passages. Cependant, il y a toujours une base commune à tous les documents : on chassera les répétitions et les tournures maladroites ou ambiguës, et on veillera, entre autres, à l’ « unification » – par exemple, en cas d’orthographes multiples, un même terme devra toujours être écrit de la même manière : « clé » ou « clef », « saoul » ou « soûl »…
5) Quelle relation entretenez-vous avec les éditeurs ? Et avec les traducteurs ?
Je ne comprends pas cette question : qu’entendez-vous par « quelle relation » ? Une relation professionnelle – celle qui lie tout employeur et ses salariés –pour ce qui concerne les éditeurs, et de collaboration (directe ou indirecte) avec les traducteurs. L’éditeur, le traducteur, le préparateur de copie et le correcteur ont tous le même objectif : publier un livre aussi bien fini que possible.
6) Pour corriger un feuillet de 1500 signes, de combien de temps disposez-vous ?
C’est variable selon les maisons d’édition. Disons qu’en moyenne on doit corriger 10 000 signes par heure en préparation de copie, et 12 000 en correction.
7) Quelles sont les erreurs les plus fréquentes que vous avez à corriger ?
Difficile à dire. Il y a souvent des erreurs concernant les traits d’union (il faut dire que ce n’est pas toujours évident : beaucoup ignorent qu’il faut écrire « un tête-à-tête », mais « dîner en tête à tête » !), ou encore les accents : par exemple, on écrivait autrefois « événement », et presque tout le monde se trompait sur le deuxième « é », à cause de la prononciation de ce mot ; heureusement, l’orthographe « évènement » est désormais admise – suivre l’évolution de la langue et de l’orthographe fait partie intégrante du travail du correcteur, qui doit pour cette raison renouveler régulièrement ses dictionnaires.
Quant à la conjugaison, elle est de moins en moins bien maîtrisée, en particulier le passé composé, dont les accords laissent parfois les auteurs ou les traducteurs perplexes – voir « ils se sont aimés », mais « ils se sont plu » !
La ponctuation pose aussi pas mal de problèmes, les virgules semblent parfois avoir été placées au hasard.
8) De quels outils disposez-vous pour faire au mieux votre travail ?
Une longue liste de dictionnaires, encyclopédies et autres ouvrages liés à la langue, en ligne ou pas, ainsi que quelques sites professionnels, tels ceux de certaines universités (Caen) ou de l’Office québécois de la langue française. Il faut être très prudent avec Internet, où le pire côtoie le meilleur : faire le tri des informations fiables et des autres n’est pas toujours évident, une encyclopédie comme « Wikipédia » par exemple a une certaine utilité, mais véhicule beaucoup d’erreurs…
Quand la préparation de copie se fait sur écran, on peut avoir recours à des outils professionnels d’aide à la correction, même si rien ne vaut la réflexion et l’œil du préparateur. Mais elle ne se fait pas toujours sur écran, certains éditeurs tiennent encore au travail sur papier avec stylo rouge (pour les corrections définitives et indiscutables) et crayon à papier (pour les suggestions à faire valider par l’auteur ou par le traducteur) : dommage par exemple pour le copier-coller et autres recherches automatiques de telle ou telle expression, qui font tout de même gagner beaucoup de temps.
9) Faites-vous plusieurs « jets » ou vérifiez-vous plusieurs choses à la fois ?
Là encore, tout dépend des ouvrages et du nombre d’interventions qui a été prévu.
La plupart du temps, il faut quand même bel et bien vérifier plusieurs choses à la fois, surtout en préparation de copie, où on s’occupe en même temps du sens, des informations données (dates, références…), de l’orthographe, de la grammaire, de la ponctuation, et des questions à soumettre à l’auteur ou au traducteur ! C’est moins vrai pour la correction d’épreuves (à condition que l’étape « préparation de copie » ait été bien faite), où l’on s’occupe essentiellement des coquilles, de l’orthographe et de l’unification (tous les titres et intertitres doivent être présentés à l’identique par exemple, et tous les mots ayant plusieurs orthographes doivent être écrits de la même manière dans un même ouvrage).
10) Corriger des textes a-t-il fait de vous une lectrice différente ? Êtes-vous plus attentive aux tournures de phrases, à l’évolution de l’orthographe dans le temps ?
Une lectrice différente, certes : finalement, je lis moins pour le plaisir, puisque la lecture professionnelle occupe l’essentiel de mon temps. Du coup, j’ai plutôt tendance à (re)lire les classiques, à aller vers des « valeurs sûres », étant donné que mon métier m’amène à être chaque jour ou presque en contact avec la littérature actuelle ; en dehors des livres qui me passent entre les mains, je ne suis pas forcément tentée de lire ce qui se publie aujourd’hui. Mais j’ai lu et corrigé plusieurs centaines de livres contemporains… Pour ce qui est de suivre l’évolution de l’orthographe dans le temps, c’est une évidence : aucun correcteur ne peut faire autrement que de suivre non seulement l’évolution de l’orthographe, mais plus généralement l’évolution de la langue, sous peine de ne pas faire correctement son travail – et c’est bien l’un des plaisirs de ce métier, que l’on exerce aussi entre autres parce que l’on s’intéresse à la langue et à son époque.
11) Comment faites-vous face à des néologismes, des fautes volontaires présentes dans un texte ? Avez-vous la V.O. comme appui ? Ou bien un contact avec le traducteur ou l’éditeur ?
Le préparateur de copie a toujours un contact avec l’éditeur, voire directement avec l’auteur ou le traducteur dans les petites maisons d’édition qui n’ont pas autant de personnel que les maisons de plus grande taille, où il y a souvent un intermédiaire entre le préparateur et l’auteur ou le traducteur (il peut s’agir d’un éditeur ou d’un assistant d’édition, d’un directeur de collection…). Pour les néologismes ou les fautes voulues, l’idéal est que l’auteur ait pris la précaution d’en avertir l’éditeur, qui le signale au préparateur de copie au moment où il lui confie le travail. Sinon, c’est moi qui signale directement à l’auteur, ou à l’éditeur qui transmettra, les passages qui m’ont posé problème ou sur lesquels il y a doute. Sur papier, la règle est simple : on écrit à l’encre rouge toutes les corrections « obligatoires » et on rédige au crayon tout ce qui est à soumettre à l’auteur, lequel tranchera ensuite avec l’éditeur (voir réponse à la question 9). Ne seront au final enregistrées que les corrections en rouge : si les modifications au crayon sont acceptées, elles sont confirmées en rouge ; dans le cas contraire, elles restent en gris et on n’en tient pas compte dans la version définitive. C’est très important pour les traducteurs en particulier : il peut arriver que je les alerte sur un problème, qu’ils reconnaissent comme tel, mais si la solution que je leur propose ne leur convient pas, ils en trouvent une autre et le problème est réglé en bonne intelligence. Selon les maisons d’édition, on me confie ou pas la V.O. : certains éditeurs ne le souhaitent pas, pour diverses raisons – soit ils préfèrent régler eux-mêmes les problèmes de traduction avec le traducteur (on peut repérer un contresens même sans avoir la V.O. sous les yeux), soit ils craignent que le préparateur de copie ne se laisse trop distraire à force de se référer au texte original.
En fait, contrairement aux apparences, le métier de préparateur de copie a de multiples facettes, et peut être très variable d’un livre à l’autre, voire d’une maison d’édition à l’autre. Le métier de correcteur, lui, est plus uniforme et se pratique partout de la même manière.
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