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vendredi 8 octobre 2010

Dulce Chacón, La voz dormida

En silencio y en orden abandonan la sala las mujeres hacia el sótano de la prisión de Ventas. Y Elvira le contesta, a Tomasa, que no tiene frío.
—Pero tengo hambre.
Pero tiene hambre. Tiene tanta hambre como en el puerto de Alicante, cuando esperaba un barco que nunca llegó, y a su madre se le acabaron las joyas y ya no tenía nada para cambiar por chocolate a la guardia italiana que los vigilaba, y el dinero republicano ya no era de curso legal, y los billetes que había ahorrado doña Martina envejecían inútiles en el fondo de una caja de caoba, una caja preciosa que había comprado su padre en Guinea. Porque su padre había vivido en Guinea, antes de conocer a su madre, antes de que lo trasladaran a Pamplona y luego a Burgos, donde se casó con ella y nació Paulino. Su padre había vivido en muchos sitios. Elvira sólo en dos: nació en Valencia, y no salió de Valencia hasta que la trajeron aquí, a esta ciudad que ni siquiera conoce, de la que ha visto tan sólo una plaza de toros, muy bonita, a través de los barrotes de la puerta del furgón. Ni siquiera conoce Alicante, sólo vio una calle con muchas palmeras camino del puerto.
Pero su padre conocía bien todas las ciudades en las que vivió, y de cada una de ellas conservaba un recuerdo. De Malabo se trajo la cajita de madera donde su madre guardaba los ahorros, pero se trajo también una dolencia en el estómago que le obligó a abandonar el ejército cuando la ley de Azaña. Era teniente cuando se retiró. Y Elvira recuerda que su madre se puso muy contenta. Pero no se puso tanto cuando volvió a incorporarse, aunque le hubieran ascendido a capitán. No se puso nada contenta. Fue al principio de la guerra, y el batallón donde su padre era capitán se llamaba Alicante Rojo. Así lo escribía su padre en las cartas, Batallón Alicante Rojo, delante de la fecha y detrás de ¡Viva la República!
Dos días después de recibir el primer ¡Viva la República!, que llegó desde Segorbe, un pueblo de Castellón, Paulino entró en casa con un papel en la mano.
En la boca, Paulino escondía una sonrisa.
—Me he alistado como voluntario, mamá.
Su madre abandonó el peine y la melena roja de Elvira:
—Eres demasiado joven.
—No.
No, replicó Paulino con firmeza mostrándole el papel que llevaba en la mano. Su madre continuó peinando a Elvira:
—Eres demasiado joven, Paulino.
No añadió nada más; acostumbrada a que las decisiones de los hombres no se discuten. Paulino ya es un hombre, le había escrito su marido en la primera carta, y la República le necesita.
Cuando la madre, doña Martina, acabó de anudar una cinta en la cola de caballo que le había hecho a Elvira, la niña corrió a la habitación de su hermano.
—¿Tú también te vas a la guerra?
—Mueve la coleta como a mí me gusta, chiqueta.
El cabello de Elvira azotó el aire a izquierda y derecha, y su hermano aprovechó los ojos cerrados de la niña para tirar de un extremo del lazo.
—Mamá, mamá, Paulino me ha deshecho la coleta. Paulino se marchó al frente esa misma tarde. Acababa de cumplir diecinueve años.

***

C’est en silence et en ordre que les femmes quittent la salle pour la cave de la prison de Ventas. Alors, Elvira répond à Tomasa qu’elle n’a pas froid.
Par contre j’ai faim.
Par contre elle a faim. Elle a aussi faim que dans le port d’Alicante, lorsqu’elle attendait un bateau qui n’est jamais venu, que sa mère n’avait plus de bijoux et qu’elle n’avait plus rien à échanger contre du chocolat auprès des gardes italiens qui les surveillaient, que la circulation de l’argent républicain n’était plus légale, que les billets que doña Martina avait économisés vieillissaient inutiles au fond d’une boîte en acajou, une précieuse boîte que son père avait achetée en Guinée. Car son père avait vécu en Guinée avant de connaître sa mère, avant qu’on ne le transfère à Pampelune et ensuite à Burgos, où il s’est marié avec elle et où Paulino est né. Son père avait vécu en de nombreux endroits. Elvira seulement en deux : elle est née à Valence jusqu’à ce qu’on l’emmène ici, dans cette ville qu’elle ne connaît même pas et dont elle a seulement vu des arènes, très jolies, à travers les barreaux de la porte du fourgon. Elle ne connaît même pas Alicante ; elle a juste vu une rue pourvue de nombreux palmiers sur la route du port.
Mais son père connaissait bien toutes les villes dans lesquelles il a vécu, et il gardait un souvenir de chacune d’elle. Il rapporta de Malabo la petite boîte en bois où sa mère gardait les économies, mais il rapporta aussi une maladie de l’estomac qui l’obligea à abandonner l’armée lorsque la loi Azaña est passée. Il était lieutenant quand il a pris sa retraite. Et Elvira se rappelle que sa mère fut très contente. Mais elle ne le fut pas autant quand il y entra à nouveau, même si on l’avait promu au grade de capitaine. Elle ne fut pas contente du tout. Ceci arriva au début de la guerre, et le bataillon dans lequel son père était capitaine s’appelait Alicante Rouge. C’est ainsi que son père l’écrivait dans ses lettres, Bataillon Alicante Rouge, avant la date et après Vive la République !
Deux jours après avoir reçu le premier Vive la République !, qui arriva de Segorbe, un village de Castellón, Paulino rentra chez lui un papier à la main.
Sur ses lèvres, Paulino dissimulait un sourire.
Je me suis engagé comme volontaire, maman.
Sa mère lâcha le peigne et la chevelure rousse d’Elvira :
Tu es trop jeune.
Non.
Non, répondit Paulino avec fermeté, en lui montrant le papier qu’il avait à la main. Sa mère poursuivit tout en peignant Elvira :
Tu es trop jeune, Paulino.
Elle n’ajouta rien de plus ; habituée à ce que les décisions des hommes ne se discutent pas. Paulino est déjà un homme, lui avait écrit son mari dans sa première lettre, et la République a besoin de lui.
Lorsque la mère, doña Martina, termina de nouer un ruban sur la queue de cheval qu’elle avait faite à Elvira, l’enfant courut jusque dans la chambre de son frère.
Toi aussi tu pars à la guerre ?
Fais bouger ta couette comme j’aime, fillette.
Les cheveux d’Elvira fouettèrent l’air de gauche à droite, et son frère profita des yeux fermés de l’enfant pour lui tirer un bout du nœud.
— Maman, maman, Paulino a défait ma couette. Paulino s’en alla au front cette même après-midi. Il venait d’avoir dix-neuf ans.

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