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dimanche 24 avril 2011

Entretien avec Marie Dubois, correctrice

Aujourd'hui, je publie l'entretien que j'ai réalisé avec Marie Dubois, une correctrice.
Je la remercie encore de m'avoir accordé de son temps.

Bonne lecture!

1)      Pouvez-vous vous présenter rapidement ? Avez-vous un site personnel ?

Non, je n’ai pas de site.
Après une licence de lettres modernes, j’hésitais à devenir professeur de lettres, quand j’ai finalement opté pour l’édition.
Je suis depuis près de vingt ans préparatrice de copie et correctrice à domicile à employeurs multiples (on dit simplement « TAD » pour « travailleur à domicile »). Le travail en profondeur sur le texte (ou « manuscrit », que l’on appelle « copie » en édition) est assuré par le préparateur de copie. Le correcteur, lui, intervient sur le premier jeu d’épreuves de façon beaucoup plus légère : il complète le travail du préparateur en corrigeant les fautes qui ont pu lui échapper, qu’elles soient d’orthographe ou de typographie (ce que l’on appelle des « coquilles »).
Ce sont deux métiers à part entière, rémunérés en salaires, à cette nuance près que les salaires ne sont pas fixes, puisque je suis payée à la tâche. Mais il s’agit bien de salaires, avec cotisations sociales et bulletins de paie, je le précise car nombreux sont ceux qui s’imaginent que ce ne sont que des revenus d’appoint, qui s’ajouteraient à ceux d’un autre métier, enseignant ou journaliste par exemple.


2)      Comment êtes-vous arrivée au métier de correctrice ?

J’ai découvert ce métier de l’ombre, dont j’ignorais jusqu’à l’existence – comme la plupart des lecteurs –, en rédigeant des fiches de lecture pour une maison d’édition quand j’étais étudiante. Le principe était de confier la lecture de manuscrits à des passionnés (souvent profs ou étudiants), qui en faisaient un compte rendu, avec résumé de l’histoire et répartition détaillée des points forts et des points faibles du texte, en échange d’une modique rémunération. L’éditrice qui me remettait les manuscrits, sachant que j’hésitais à passer les concours de l’Education nationale, m’a expliqué le métier de correcteur, proposé une courte formation en interne avec étude des règles typographiques indispensables, et m’a donné une première chance : se retrouvant un jour sans possibilité de trouver rapidement un remplaçant à un correcteur tombé malade alors qu’il devait travailler sur un livre dont on ne pouvait différer la publication, elle m’a confié l’ouvrage, qu’elle a elle-même supervisé ensuite. Le résultat lui a convenu, et je suis ainsi tout naturellement entrée peu à peu dans son équipe de correcteurs. C’était chose courante à l’époque (début des années 1990), on vous demandait juste une excellente maîtrise de la langue et de la ponctuation, ainsi qu’une bonne culture générale ; pour le reste, on vous formait « sur le tas ». Les choses ont bien changé depuis, les formations aux métiers de l’édition se sont multipliées, et je ne crois pas qu’on puisse encore entrer durablement dans une maison d’édition de cette manière.
Par la suite, j’ai aussi choisi de travailler comme préparatrice de copie. Des deux postes, c’est de loin celui que je préfère, même si je continue à avoir les deux « casquettes », ce qui n’est pas le cas de tous : certains souhaitent ne faire que de la préparation de copie, d’autres que de la correction d’épreuves. Précision importante : en principe, une même personne ne fait pas les deux sur un livre, car il est important que le correcteur ait un œil neuf sur le texte, déjà connu du préparateur qui risquerait donc de ne pas repérer certaines erreurs ou coquilles.


3)      Quel genre de documents corrigez-vous ?

Tous, ou presque ! Cependant, les éditeurs ont l’intelligence de me confier des ouvrages correspondant à mon profil. Je suis une littéraire, on va donc éviter de me demander de corriger des livres scientifiques. Mais je travaille aussi bien en littérature, française ou étrangère, que sur des textes traitant de cinéma, musique, peinture, sculpture, politique ou même cuisine (puisqu’on publie de plus en plus de livres de cuisine). Il m’arrive aussi de corriger des essais, rédigés par des historiens ou des philosophes entre autres.


4)      Y a-t-il une façon de procéder différente selon le document à corriger ?

Oui, bien sûr : on ne va pas corriger un roman, œuvre de fiction, comme on pourrait corriger une biographie, pour ne prendre que cet exemple. La marge de manœuvre est donnée par l’éditeur. Selon la qualité de la plume de l’auteur, le préparateur de copie aura plus ou moins de travail en profondeur à effectuer sur le texte – ce travail pouvant aller jusqu’à la réécriture de certains passages. Cependant, il y a toujours une base commune à tous les documents : on chassera les répétitions et les tournures maladroites ou ambiguës, et on veillera, entre autres, à l’ « unification » – par exemple, en cas d’orthographes multiples, un même terme devra toujours être écrit de la même manière : « clé » ou « clef », « saoul » ou « soûl »…


5)      Quelle relation entretenez-vous avec les éditeurs ? Et avec les traducteurs ?

Je ne comprends pas cette question  : qu’entendez-vous par « quelle relation » ? Une relation professionnelle – celle qui lie tout employeur et ses salariés –pour ce qui concerne les éditeurs, et de collaboration (directe ou indirecte) avec les traducteurs. L’éditeur, le traducteur, le préparateur de copie et le correcteur ont tous le même objectif : publier un livre aussi bien fini que possible.


6)      Pour corriger un feuillet de 1500 signes, de combien de temps disposez-vous ?

C’est variable selon les maisons d’édition. Disons qu’en moyenne on doit corriger 10 000 signes par heure en préparation de copie, et 12 000 en correction.


7)      Quelles sont les erreurs les plus fréquentes que vous avez à corriger ?

Difficile à dire. Il y a souvent des erreurs concernant les traits d’union (il faut dire que ce n’est pas toujours évident : beaucoup ignorent qu’il faut écrire « un tête-à-tête », mais « dîner en tête à tête » !), ou encore les accents : par exemple, on écrivait autrefois « événement », et presque tout le monde se trompait sur le deuxième « é », à cause de la prononciation de ce mot ; heureusement, l’orthographe « évènement » est désormais admise – suivre l’évolution de la langue et de l’orthographe fait partie intégrante du travail du correcteur, qui doit pour cette raison renouveler régulièrement ses dictionnaires.
Quant à la conjugaison, elle est de moins en moins bien maîtrisée, en particulier le passé composé, dont les accords laissent parfois les auteurs ou les traducteurs perplexes – voir « ils se sont aimés », mais « ils se sont plu » !
La ponctuation pose aussi pas mal de problèmes, les virgules semblent parfois avoir été placées au hasard.


8)      De quels outils disposez-vous pour faire au mieux votre travail ?

Une longue liste de dictionnaires, encyclopédies et autres ouvrages liés à la langue, en ligne ou pas, ainsi que quelques sites professionnels, tels ceux de certaines universités (Caen) ou de l’Office québécois de la langue française. Il faut être très prudent avec Internet, où le pire côtoie le meilleur : faire le tri des informations fiables et des autres n’est pas toujours évident, une encyclopédie comme « Wikipédia » par exemple a une certaine utilité, mais véhicule beaucoup d’erreurs…
Quand la préparation de copie se fait sur écran, on peut avoir recours à des outils professionnels d’aide à la correction, même si rien ne vaut la réflexion et l’œil du préparateur. Mais elle ne se fait pas toujours sur écran, certains éditeurs tiennent encore au travail sur papier avec stylo rouge (pour les corrections définitives et indiscutables) et crayon à papier (pour les suggestions à faire valider par l’auteur ou par le traducteur) : dommage par exemple pour le copier-coller et autres recherches automatiques de telle ou telle expression, qui font tout de même gagner beaucoup de temps.


9)  Faites-vous plusieurs « jets » ou vérifiez-vous plusieurs choses à la fois ?

Là encore, tout dépend des ouvrages et du nombre d’interventions qui a été prévu.
La plupart du temps, il faut quand même bel et bien vérifier plusieurs choses à la fois, surtout en préparation de copie, où on s’occupe en même temps du sens, des informations données (dates, références…), de l’orthographe, de la grammaire, de la ponctuation, et des questions à soumettre à l’auteur ou au traducteur ! C’est moins vrai pour la correction d’épreuves (à condition que l’étape « préparation de copie » ait été bien faite), où l’on s’occupe essentiellement des coquilles, de l’orthographe et de l’unification (tous les titres et intertitres doivent être présentés à l’identique par exemple, et tous les mots ayant plusieurs orthographes doivent être écrits de la même manière dans un même ouvrage).


10)  Corriger des textes a-t-il fait de vous une lectrice différente ? Êtes-vous plus attentive aux tournures de phrases, à l’évolution de l’orthographe dans le temps ?

Une lectrice différente, certes : finalement, je lis moins pour le plaisir, puisque la lecture professionnelle occupe l’essentiel de mon temps. Du coup, j’ai plutôt tendance à (re)lire les classiques, à aller vers des « valeurs sûres », étant donné que mon métier m’amène à être chaque jour ou presque en contact avec la littérature actuelle ; en dehors des livres qui me passent entre les mains, je ne suis pas forcément tentée de lire ce qui se publie aujourd’hui. Mais j’ai lu et corrigé plusieurs centaines de livres contemporains… Pour ce qui est de suivre l’évolution de l’orthographe dans le temps, c’est une évidence : aucun correcteur ne peut faire autrement que de suivre non seulement l’évolution de l’orthographe, mais plus généralement l’évolution de la langue, sous peine de ne pas faire correctement son travail – et c’est bien l’un des plaisirs de ce métier, que l’on exerce aussi entre autres parce que l’on s’intéresse à la langue et à son époque.


11)  Comment faites-vous face à des néologismes, des fautes volontaires présentes dans un texte ? Avez-vous la V.O. comme appui ? Ou bien un contact avec le traducteur ou l’éditeur ?

Le préparateur de copie a toujours un contact avec l’éditeur, voire directement avec l’auteur ou le traducteur dans les petites maisons d’édition qui n’ont pas autant de personnel que les maisons de plus grande taille, où il y a souvent un intermédiaire entre le préparateur et l’auteur ou le traducteur (il peut s’agir d’un éditeur ou d’un assistant d’édition, d’un directeur de collection…). Pour les néologismes ou les fautes voulues, l’idéal est que l’auteur ait pris la précaution d’en avertir l’éditeur, qui le signale au préparateur de copie au moment où il lui confie le travail. Sinon, c’est moi qui signale directement à l’auteur, ou à l’éditeur qui transmettra, les passages qui m’ont posé problème ou sur lesquels il y a doute. Sur papier, la règle est simple : on écrit à l’encre rouge toutes les corrections « obligatoires » et on rédige au crayon tout ce qui est à soumettre à l’auteur, lequel tranchera ensuite avec l’éditeur (voir réponse à la question 9). Ne seront au final enregistrées que les corrections en rouge : si les modifications au crayon sont acceptées, elles sont confirmées en rouge ; dans le cas contraire, elles restent en gris et on n’en tient pas compte dans la version définitive. C’est très important pour les traducteurs en particulier : il peut arriver que je les alerte sur un problème, qu’ils reconnaissent comme tel, mais si la solution que je leur propose ne leur convient pas, ils en trouvent une autre et le problème est réglé en bonne intelligence. Selon les maisons d’édition, on me confie ou pas la V.O. : certains éditeurs ne le souhaitent pas, pour diverses raisons – soit ils préfèrent régler eux-mêmes les problèmes de traduction avec le traducteur (on peut repérer un contresens même sans avoir la V.O. sous les yeux), soit ils craignent que le préparateur de copie ne se laisse trop distraire à force de se référer au texte original.
En fait, contrairement aux apparences, le métier de préparateur de copie a de multiples facettes, et peut être très variable d’un livre à l’autre, voire d’une maison d’édition à l’autre. Le métier de correcteur, lui, est plus uniforme et se pratique partout de la même manière.

vendredi 15 avril 2011

Aujourd'hui, vendredi 15 avril 2011

C'était mon dernier jour de cours.
Rien de bien grave mais je suis un peu nostalgique. En quittant l'université, je lui ai même dit au revoir.
Quitter un endroit où on a passé cinq ans à étudier, à rire, à rencontrer des gens passionnants, ça fait quelque chose...

Mais mon aventure dans la traduction n'est pas terminée!!
Je commence mon stage le 2 mai aux éditions de La Compagnie Littéraire (à Paris) et ma traduction du livre de Jaime Casas est loin d'être parfaite.

J'ai hâte de me lancer pleinement dans mon aventure parisienne (et éditoriale!) et de continuer de me plonger dans ce livre que j'aime tant.

A suivre donc, car vous aurez souvent de mes nouvelles!!

C'est officiel, notre formation va être fermée l'année prochaine. 
Il n'y a pas assez d'argent alors qu'elle en vaut la peine. Nous faisons partie des meilleurs masters de France et on gâche tout pour ouvrir des masters de danse et de chanson française (je n'ai rien contre la danse mais franchement... La chanson française, je préfère ne pas soulever le sujet -_-').
La traduction n'est pas si bien vue, cette formation n'offre pas de postes. Depuis quand les traducteurs sont des employés à plein temps? Triste décision et je me sens bien impuissante...

dimanche 10 avril 2011

Entretien avec Marie Christine Vila, traductrice du catalan.

 Je remercie encore Marie Christine Vila pour le temps qu'elle m'a accordé et pour sa sympathie!


01)   Je me demandais d'abord comment vous en étiez venue à la traduction?
Française et catalane (donc de nationalité française et espagnole), j’ai toujours évolué dans les deux langues, trois en réalité avec le castillan, et je traduisais depuis longtemps occasionnellement. J’ai décidé, il y a quelques années, de me lancer professionnellement dans la traduction par goût de la littérature, un peu déçue peut-être de ne pas voir davantage de littérature catalane traduite en français. Étonnée également de constater que, dans certains cas, les romans catalans étaient en réalité traduits en français à partir de leur traduction en espagnol. 

02) Quelle était votre première traduction et quelle image en avez-vous gardée aujourd'hui? 
Ma première traduction littéraire publiée était Un regard innocent [ Amb ulls de nena] d’Encarnació Martorell, publié aux éditions Anne-Marie Métailié. J’ai aimé traduire ce journal de la guerre civile en Espagne,  rédigé par une petite fille âgée de 12 ans en 1936, un texte difficile à traduire à de multiples égards, mais principalement parce qu’il fallait réussir à conserver une écriture d’enfant (remarquablement correcte et inspirée) et suivre son évolution dont le rythme était imposé à la fois par les circonstances historiques violentes et douloureuses (l’obligation de « grandir » à une vitesse effrayante)  et par l’entrée dans l’adolescence. 

03) Comment choisissez-vous les textes que vous traduisez? (si vous les choisissez) 
L’honnêteté m’oblige à dire que je ne croule pas sous les propositions de traduction du catalan ! Et que je n’ai pas non plus de longues années d’expérience en ce domaine. Par ailleurs, c’est un luxe qui n’est pas si souvent offert, je crois, à la majorité des traducteurs. La situation la plus fréquente consiste à accepter ou non une traduction (sachant qu’il faut gagner sa vie, et que l’on accepte parfois pour cette raison). Pour en revenir aux critères de choix, et dans le cas où je propose à des éditeurs des livres dont je pense qu’ils devraient être traduits en français, le critère principal est tout simplement la qualité intrinsèque de l’ouvrage. Quel bonheur de passer ses journées en compagnie d’un bon roman, d’être dans l’intimité d’une écriture, de personnages, de situations qui vous émeuvent, vous bouleversent, vous surprennent, vous embarquent… !   

 04) Quels rapports vous entreteniez avec les auteurs? Prenez vous parfois contact avec eux? Jusqu’à présent, j’ai toujours été en contact avec les auteurs des ouvrages que j’ai  traduits. Je les rencontre, nous restons en contact, et nous entretenons des relations cordiales. Ensuite, chaque relation est singulière. Jusqu’à présent, j’ai toujours eu envie de m’entretenir directement avec les auteurs et j’ai eu la chance qu’ils manifestent également le souhait de me connaître. 

05) Vous êtes également écrivain, quel type de texte écrivez-vous? (j'ai fait quelques recherches, est-ce bien vous qui êtes musicologue?) 
J’écris des livres sur la musique, qu’il s’agisse de thèmes suggérés par un éditeur (si le projet m’intéresse, j’accepte) ou de sujets auxquels je décide de m’atteler et que je propose alors à un éditeur. J’ai donc publié à ce jour des livres dans des genres aussi différents que la biographie [Cathy Berberian Cant’actrice], l’histoire [Paris Musique, une histoire de la vie musicale parisienne], l’essai [Sotto voce, Mozart à Paris], le guide [Quatre siècles d’opéra], le livre de photo [Piaf, la môme de Paris], etc. 

06) En tant qu'écrivain mais aussi en tant que traductrice, quels rapports entretenez-vous avec les éditeurs ?
De très bons rapports en général. Je n’envisage pas de travailler avec un éditeur autrement que dans le cadre d’une collaboration fructueuse, cordiale si possible et dénuée de relation de subordination. 
Si ce rapport n’est pas satisfaisant, je cesse ma collaboration.    

07) Pensez-vous qu'un bon traducteur doit être un bon écrivain?
Il est bien difficile de répondre à cette question. Il faudrait commencer par définir ce que l’on entend par écrivain et bon écrivain, et l’on risque vite se s’embourber ! On peut toutefois avancer que traducteur est un métier à part entière, différent de celui d’écrivain (d’auteur, disons), que traduire n’est pas transcrire et mettre les mots de la langue originale en français, que ce n’est pas non réinventer le texte. Ceci étant, le traducteur n’a pas à « inventer » le texte, ce qui revient entièrement à l’auteur du texte. Alors non, le traducteur n’est pas un écrivain au sens où il n’est l’auteur de l’ouvrage ; il est tout au plus l’auteur de la traduction. Si le traducteur, comme l’écrivain, s’adresse à un lecteur, avec le souci que ce dernier prenne plaisir à lire l’ouvrage qu’il traduit, il n’est pas le maître du texte, il n’en est que le passeur (et c’est déjà beaucoup). Une chose à ce propos mérite réflexion, et demeure pour moi fascinante quant à ce qu’elle dit de la littérature et de la traduction : un texte littéraire peut traverser les siècles sans prendre une ride (Pantagruel, La divine comédie, Don Quichotte, Hamlet, Les Mille et une nuits…), mais sa traduction dans une autre langue ne survit en général pas plus d’une cinquantaine d’années… Sauf lorsque Baudelaire traduit Poe (mais s’agit-il alors de ce que nous entendons généralement par ‘traduction’ ?).  


08) Traduire a t-il fait de vous une lectrice différente? Et écrire?
Je ne m’étais jamais posé la question concernant le fait de traduire, mais peut-être, oui. Lorsqu’on traduit, on travaille une matière, la langue, comme un artisan travaille un matériau, et l’on acquiert une intimité, une familiarité avec la langue qui est celle-là même qu’on lit, comme lecteur. On devient peut-être également plus exigeant, car à entrer non seulement dans la langue mais également dans un texte (sa structure, par exemple), on aiguise sa perception du texte écrit, et l’on en voit plus rapidement, le cas échéant, les ficelles, les manquements, les facilités, indépendamment de l’histoire qu’il nous raconte. Mon activité de lectrice (de catalan et de castillan) pour des maisons d’édition a également modifié mon attitude vis-à-vis de la lecture : plus je dois lire, plus je lis, plus j’aime lire ; plus je lis et plus je mesure la difficulté d’écrire, et plus j’admire l’art d’écrire lorsque j’ai entre les mains un très beau roman (la perle rare !).  

09) Ecrire a-t-il changé votre conception de la traduction?
Je ne peux pas répondre à cette question car je suis venue tard à la traduction littéraire, je traduis des romans et n’en n’écris pas et je n’ai pas vraiment de conception établie de la traduction. Je n’ai pas fait d’études de traduction, je n’ai pas de diplôme de traduction, ni même de langues pour les deux que je traduis en français, et je n’ai jamais été en situation d’élaborer une/ma conception de la traduction. J’ai toutefois quelques grandes lignes de conduite auxquelles j’essaie de me tenir, comme le plus grand respect du texte original (lire à ce sujet ce qu’écrit Milan Kundera à propos de la traduction française de La Plaisanterie), le respect du lecteur auquel je m’adresse et la plus grande lisibilité en français (faire en sorte que l’on  oublie qu’il s’agit d’une traduction…). 

10) Quel est votre meilleur souvenir en tant que traductrice?
À ce jour, c’est la rencontre avec Encarnació Martorell, l’auteur d’Amb ulls de nena, ma première traduction publiée. Aujourd’hui âgée de 87 ans, Encarnació m’a reçue chez elle, à Barcelone, si heureuse de savoir que son journal (écrit alors qu’elle avait 12 ans !) allait être traduit et publié en France. Lorsque je l’ai rencontrée pour la première fois, j’avais pratiquement terminé la traduction, et je me trouvais soudainement en compagnie de la petite fille que j’avais appris à connaître au fils des semaines, dont je connaissais la famille, les rêves, les pensées, les premiers émois…  C’était très troublant. Finalement, elle a sorti d’un carton rangé en haut d’une grosse armoire les cahiers d’écolière sur lesquels elle avait écrit ce journal. C’était émouvant. Et j’ai pu constater par moi-même que l’éditeur du texte et le découvreur de ces cahiers, Salvador Domènech, avait respecté à la lettre l’original, sans chercher à « améliorer » ou « corriger » le texte d’une petite fille de 12 ans. Un élément très instructif pour moi. Depuis, je rends visite régulièrement à Encarnació, une dame d’une remarquable intégrité, courageuse, simple, intelligente et attentive aux autres.

11) Enfin, quel conseil donneriez-vous à un(e) apprenti(e) traducteur(trice)?
Un conseil ? Utile, je l’espère : lire et relire sa traduction après l’avoir laissée décanter une semaine, un mois, deux ou plus (un luxe !), en l’ayant oubliée en quelque sorte. Lire comme une lectrice qui ignore l’original, pour voir si ça « coule »… Si vous n’accrochez pas comme lectrice, c’est que la traduction n’est pas satisfaisante ! La lecture à haute voix met souvent en évidence des barbarismes, des maladresses, des lourdeurs, des incohérences…
(ah, un autre petit conseil : ne jamais se dire « c’est pas clair, ça ne veut pas dire grand-chose, mais l’original est comme cela »…  À vous de vous débrouiller pour que le texte soit entièrement lisible !)

mercredi 6 avril 2011

Dernière version de ma nouvelle

Stéphanie Benson a revu nos nouvelles une par une et a noté ses remarques.
Celles que j'ai eu m'ont été très bénéfiques. J'ai compris que certains passages n'apportaient pas grand chose au texte, que certains adjectifs plutôt plats ne servaient pas à grand chose.
Je la remercie pour ses conseils et sa présence lors des ateliers d'écriture. 
Ce fut un de mes ateliers préférés cette année. 
Il ne nous reste d'ailleurs plus qu'une semaine et demi de cours... Je commence à être nostalgique et à me dire que tout est passé trop vite.
Mais bon, l'aventure n'est pas terminée. Ma traduction est loin d'être parfaite, le stage n'est pas encore commencé... Que de choses à vivre cet été!!

En attendant, je vous souhaite une bonne lecture de ma nouvelle enfin achevée. Elle s'appelle Lune.
Pas très original. Mais il faut dire que trouver un titre n'est pas une mince affaire!!

Assise sur son lit dans sa robe d’un rouge intense, Lune pleurait. Elle n’arrivait pas à croire que malgré tout, son avenir serait heureux. Pourtant ravissante du haut de ses quinze ans, elle devenait une femme. Ses cheveux, d’un noir de jais aux reflets presque bleutés contrastaient avec ses grands yeux verts. Son corps n’avait plus l’air d’être celui d’une enfant. Sa taille s’affinait à mesure que ses hanches s’élargissaient, ses seins étaient devenus ronds et fermes. Plus elle se regardait, plus elle se trouvait jolie. Mais elle ne parvenait pas à sécher ses larmes. Les fleurs d’oranger dégageaient tout autour d’elle une odeur sucrée, qui lui rappelait ses jeunes années passées dans les champs voisins. Elle percevait des voix éloignées qui répétaient, à la fois douces et angoissantes : « C’est le plus beau jour de ta vie ! ».
— Lune, que fais-tu encore ici ? , lui lança une petite femme ronde avec un sourire réconfortant.
— Je me demandais où était mon collier en or. Je crois l’avoir perdu…
— Voyons, ma petite Lune, ne pleure pas pour ça ! Lève-toi, nous allons le chercher, dit la femme en se penchant de tous côtés et en défaisant les draps du lit.
Lune ne bougeait pas. Elle observait sa marraine qui s’agitait autour d’elle sans vraiment la voir. Les voix revenaient, lancinantes : « C’est le plus beau jour de ta vie ! ». Un petit cri aigu lui fit retrouver ses esprits.
— Je m’en doutais ! Il a dû tomber quand tu dormais ! Tiens ma chérie, mets-le. Comme tu as grandi…, murmura la marraine avec une pointe de nostalgie.
— Anne, aide-moi à l’attacher, s’il te plaît, demanda Lune. Puis elle se mit à pleurer de plus belle.
Anne la prit dans ses bras. Une lumière dorée auréolait les deux femmes. Le lit à baldaquins, majestueux, donnait l’impression que Lune était encore toute petite. Le soleil se reflétait sur les draps délicats en créant des reflets moirés. Tout autour d’elle était sublimé. Parfois, l’ombre d’un oiseau dansait sur les murs de pierre, glissant à travers les barreaux de la fenêtre. Il se retrouvait ainsi piégé, malgré lui, dans une petite cage faite de dorures, de pierres froides et de tissus raffinés. Lune se sentait comme ces ombres fuyantes. Depuis un mois, elle errait dans la grande maison familiale, sans appétit, absente, presque invisible. Sa chambre était devenue son seul refuge.
Un bruissement d’ailes la fit se retourner vers la fenêtre. Un corbeau se trouvait sur le rebord et avait passé sa tête à travers les barreaux. La marraine se précipita vers lui pour l’effrayer.
— Va-t’en oiseau de malheur !
Anne faisait de grands gestes désordonnés. Elle avait beau s’égosiller et remuer comme une démente, elle ne parvenait pas à faire fuir le corbeau. Celui-ci, stoïque, l’observait.
Lune ne put réprimer un petit rire au spectacle de sa marraine échevelée et du corbeau indifférent.
— Va-t’en ! Va-t’en ! Et toi Lune, ne ris pas ! Je suis toute décoiffée et cet imbécile d’animal me regarde sans bouger.
— Laisse-le donc, nous avons autre chose à faire. On nous attend.
Lune sentait un nœud se former dans sa gorge à mesure qu’elle prononçait ces paroles. Son sourire s’effaça.
Anne trottina jusqu’au miroir pour tenter de redonner un peu d’allure à son chignon. Le corbeau croassa et s’envola dans le ciel bleu. Une petite brise pénétra dans la pièce. Lune respira profondément pour s’imprégner de l’air pur chargé de l’odeur subtile et rassurante de l’herbe fraîchement coupée. Elle regarda par la fenêtre et sa marraine vint se placer derrière elle. « C’est une belle journée, une fête grandiose nous attend ».
À ces mots, la gorge de Lune devint plus étroite encore et ses mains moites cherchèrent un support sur lequel s’appuyer. Elle ne pouvait rien dire. Il était trop tard.
Anne savait. Depuis toujours. Mais elle non plus ne dirait rien.
La vie était faite ainsi. Des promesses, des compromis, des engagements…
Pour les hommes de haut rang, l’amour était une chose futile et il ne devait, en aucun cas, venir à l’encontre de leurs intérêts.
Après une dernière étreinte, sa marraine proposa à Lune de la suivre jusqu’au jardin. Les invités étaient arrivés et il ne manquait plus qu’elle à la fête.
Lune descendit les escaliers en s’agrippant au bras de celle qui l’avait vue grandir. Elle se dirigea ensuite vers le jardin, faisant abstraction de tout ce qui l’entourait. La douleur viendrait bien assez vite.

Au bout d’un petit chemin parsemé de roses, un jeune homme de dos attendait sa promise. Lune avança, fébrile. Les musiciens avaient déjà commencé à jouer. Tout le monde avait l’air heureux mais la jeune femme était de plus en plus angoissée. Cela se voyait-il ? Le futur marié se retourna et fit un sourire dans sa direction. Rougissant, elle le lui rendit et alla se placer à sa gauche. Ensemble, ils regardèrent la mariée qui avançait en rythme. Vêtue d’une magnifique robe blanche, ses cheveux blonds tressés et ornés d’une couronne de fleurs d’oranger, Amandine, la sœur de Lune, était rayonnante. Elle s’arrêta devant l’autel aux côtés de l’homme qu’elle allait épouser.


Assise sur son lit dans sa robe d’un noir profond, Lune pleurait. Elle tentait de se persuader que malgré tout, son avenir serait heureux. Elle était ravissante du haut de ses vingt ans et désormais, elle était une femme. Cela faisait cinq ans qu’elle était entrée au couvent des Capucines. Parfois, l’ombre d’un oiseau passait entre les barreaux de sa cellule et semblait voltiger sur les murs de pierre. Pour oublier que l’homme dont elle était éprise avait épousé sa sœur, Lune entonnait une prière au nom de son nouvel Amour.