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samedi 30 octobre 2010

Carmen Laforet, La mujer nueva

Había sido educado para vivir aquí, en el pueblo. Para dirigir prosaicamente la fábrica de quesos y mantequilla que tenía su padre, y cuidar de sus tierras. Tenía un título de ingeniero industrial. Le gustaba el campo... Había sido educado también para vivir con una gran comodidad y con todas las satisfacciones materiales que su familia exigía a la vida. Y se le había dotado de muchas cosas más. Tenía una enorme fuerza física y la cultivó. Le gustaba vivir bien, pero desde muchacho había sido cazador y excursionista y sabía soportar penalidades y hacer frente a muchas situaciones... La guerra le lanzó fuera del pueblo y luego fuera de España. Cuando su hijo Miguel iba a nacer, al terminarse la guerra civil, tuvo que dejar a Paulina en Barcelona, casi abandonada a su suerte... Y aunque pensaba volver en seguida a España, las cosas se arreglaron de tal manera que embarcó hacia América Central, y no hacía ni año y medio que estaba otra vez en su país. Recordó cómo había tenido ocasión de enriquecerse en dos o tres momentos, y no lo logró por algo, una especie de destino extraño que acababa desbaratando todos sus planes ambiciosos. Podía recordar el peor de aquellos momentos, aquella ocasión en que pensó divorciarse en Méjico aprovechando ciertas leyes arbitrarias, para poder casarse con una millonada histérica. Con este matrimonio le parecía que hubiese llegado a una cumbre de poder económico fabuloso... La millonaria se aburrió de él antes de que hubiese terminado de decidir tal proyecto. Paulina no lo supo nunca... Las mujeres no habían sido factor muy fuerte en el destino de Eulogio. Sólo aquel afán de triunfo, de hacer cosas, de moldear la vida. Y es claro, siempre recordaba que tenía un hijo. Él era un hombre muy viril, con un profundo instinto paternal. Al fin creyó que era necesario encontrar otra vez el hogar y el hijo... Pero aún después de su regreso estuvo más de un año empeñado, con aquella ambición de siempre, en una lucha áspera en Madrid, metidos él y la familia en un piso modesto, alquilado con muebles, aguardando la gran ocasión de llegar a dirigir las Empresas Comerciales Nives, en las que trabajaba. Fue un año de dureza, de mal humor, de exigencias con Paulina, que tenía que vivir adaptándose a un sueldo pequeño y que estaba enferma... Un año durante el que se hizo el sordo a las llamadas, a las visitas y a las cartas de su madre... Al fin, cuando Paulina se vino a Villa de Robre, casi secuestrada por Mariana, y le nació aquí un hijo prematuro y muerto, él consintió en venir por obligación... Y solamente darle el olor del valle en la nariz, oír el habla especial de las gentes, encontrar los cómodos sillones de Mariana y ver la chimenea de ladrillos que sobresalía del edificio de la fábrica, supo que aquello era su destino. El destino que desde siempre le estaba aguardando. Y... se quedaba. Ahora mismo, esta tarde, había decidido quedarse. Mariana había tenido razón desde el primer día. Era lógico que al terminar el plazo de arrendamiento de la fábrica el la tomase en sus manos. Tenía que levantar lo que era suyo. Cuidar de aquellas tierras y de la ganadería. Y hasta, ¿por qué no?, sus grandes y emocionantes bosques de Las Duras podían ser una aventura más grande que ninguna de las que le pudieran haber sucedido por el mundo. Su verdadera finalidad estaba en el trabajo que le gustaba y quería hacer. En ese olor de la lluvia de tempestad, en todas estas ramas agitadas encontraba un sentido, nuevo y viejo. Había cosas que empezaron sus abuelos y él tenía que continuar, y cosas que podía empezar a hacer él mismo, allí en su propia tierra, y que sus hijos continuarían...

***

Il avait été élevé pour vivre ici, au village. Juste pour diriger la fabrique de fromages et de beurre que possédait son père et s’occuper de ses terres. Il avait un diplôme d’ingénieur industriel. Il appréciait la campagne… Il avait également été élevé pour vivre dans un grand confort et avec toutes les satisfactions matérielles que sa famille exigeait de la vie. Il avait aussi hérité de beaucoup d’autres choses. Il avait une énorme force physique qu’il cultiva. Il aimait vivre aisément, mais depuis son adolescence, il avait été chasseur et randonneur et il savait supporter des contraintes et faire face à de nombreuses situations… La guerre l’expulsa hors du village et ensuite, hors d’Espagne. Quand son fils Miguel allait naître, à la fin de la Guerre Civile, il dut laisser Paulina à Barcelone, presque abandonnée à son sort… Et bien qu’il pensât revenir de suite en Espagne, les choses s’organisèrent de telle sorte qu’il embarqua pour l’Amérique Centrale, alors que ça ne faisait pas encore un an et demi qu’il était de nouveau dans son pays. Il se rappela comment il avait eu l’occasion de s’enrichir à deux ou trois reprises, sauf qu’il n’y parvint pas, pour une raison bien précise : une espèce de destin étrange qui finissait par bouleverser tous ses plans ambitieux. Il pouvait se souvenir du pire de ces moments : cette fois où il pensa divorcer au Mexique en profitant de certaines lois arbitraires, afin de pouvoir se marier avec une millionnaire hystérique. Grâce à ce mariage, il lui semblait qu’il aurait atteint le sommet d’une puissance économique fabuleuse… La millionnaire se lassa de lui avant qu’il n’eût pris la décision de réaliser un tel projet. Paulina ne le sut jamais… Les femmes n’avaient pas été un facteur très déterminant du destin d’Eulogio. Il y avait uniquement cette soif de triomphe, d’accomplir des choses, de modeler sa vie. Ce qui est sûr, c’est qu’il se rappelait tout le temps qu’il avait un fils. C’était un homme très viril, doté d’un fort instinct paternel. Tout compte fait, il pensa qu’il lui fallait retrouver son foyer et son fils… Néanmoins, même après son retour, il s’engagea pendant plus d’un an, avec cette ambition éternelle, dans une lutte acharnée à Madrid, coincé avec sa famille dans un modeste appartement meublé, attendant l’opportunité de pouvoir diriger les Entreprises Commerciales Nives, où il travaillait. Ce fut une année faite de dureté, de mauvaise humeur, d’exigences envers Paulina, qui devait vivre en s’adaptant à un bas salaire et qui était malade… Une année durant laquelle il fit la sourde oreille face aux appels, aux visites et aux lettres de sa mère. Finalement, quand Paulina alla vivre à la Villa de Robre, quasiment séquestrée par Mariana et que ce fut ici qu’elle mit au monde prématurément un enfant mort-né, il consentit à venir par obligation… C’est seulement au contact de l’air de la montagne avec son nez, en entendant le parler particulier des gens, en retrouvant les fauteuils douillets de Mariana et en voyant la cheminée en briques qui se dressait sur le bâtiment de la fabrique, qu’il sut que tout ceci, c’était son destin. Le destin qui l’attendait depuis toujours. Ainsi donc…il restait. Maintenant, cet après-midi, il avait décidé de rester. Mariana avait eu raison dès le premier jour. Il était logique qu’à la fin du crédit de location de la fabrique, ce soit lui qui la reprenne. Il devait faire fructifier ce qui était à lui. S’occuper de ses terres et du bétail. Et ses grands et touchants bois des Duras pouvaient même, pourquoi pas, représenter une aventure plus importante que toutes celles qui auraient pu lui arriver en ce monde. Son véritable but résidait dans le travail qu’il aimait et qu’il voulait faire. Dans cette odeur de la pluie d’orage, dans toutes ces branches agitées il trouvait un sens, à la fois neuf et ancien. Il y avait des choses que ses grands-parents avaient commencé et qu’il devait poursuivre, ainsi que des choses que lui-même pouvait commencer à faire, là-bas sur ses propres terres et que ses fils poursuivraient.

jeudi 28 octobre 2010

Entretien avec Amélie Rioual, ancienne élève du M2 pro. Promo Aline Schulman

Cet entretien que nous avons eu au téléphone aborde particulièrement la question de la traduction longue qu'Amélie a effectuée l'année dernière.
(Pour le mois d'août, nous devrons réaliser la traduction inédite d'un ouvrage. Je posterai d'autres articles à ce propos quand nous serons vraiment entrés dans le vif du sujet. Pour l'instant j'attends de recevoir trois livres...chiliens!)


1) Bonjour ! Tout d’abord, j’aimerais savoir quel a été le livre que tu as choisi pour ta traduction longue ?
J’ai choisi Llueven ranas en la Mancha de Juana Samper Ospina.

2) Pourquoi as-tu choisi ce livre en particulier et comment t-y es-tu prise ?
J’ai fait des recherches sur les forums de la revue « Qué leer ? ».
En fait, j’ai été attirée par la couverture assez colorée du livre et par le résumé. Mais finalement, j’ai fait mon choix au hasard. Ce livre n’a pas reçu de prix et n’était pas très connu.
Son auteure est la correspondante espagnole du journal El Tiempo en Colombie (journal le plus tiré dans ce pays et qui a donc une certaine notoriété). J’ai trouvé beaucoup d’articles sur elle et sur le livre.
J’ai trouvé intéressant d’avoir un auteur un peu connu.
Après, l’histoire m’a plu et je me suis dit « C’est parti ! ».
J’avais trouvé des fils conducteurs. Il s’agit d’une autobiographie en fait. L’auteure raconte ce qui s’est passé quand elle est partie vivre dans un moulin. Elle nous fait part de sa vie au moulin, d’anecdotes historiques à propos du village où elle vit.
L’histoire a lieu pendant la Guerre Civile et il y a des intermèdes techniques sur la façon dont on ramasse les olives, comment on fait les moissons…
Avant chaque chapitre, il y a un proverbe qui parle des olives, des moulins. Il fallait adapter ça dans ma traduction.

3) As-tu regretté ton choix quand tu t’es mise à traduire ? (si oui, pourquoi ?)
En fait, au premier jet, je ne me suis pas trop posé de questions. Ça s’est fait assez vite.
Mais au deuxième jet, j’ai pensé : « c’est mal écrit… ».
Je n’ai pas vraiment regretté mon choix mais le style était assez journalistique. Tout était difficile à relier en français.
J’ai regretté de ne pas avoir une histoire à traduire d’un bout à l’autre du texte. L’auteure passe constamment du coq à l’âne et j’ai trouvé ça un peu moins intéressant.

4) Ne t’es-tu pas sentie un peu perdue devant autant de pages à traduire seule ?
J’ai adoré ça !
J’ai trouvé ça génial de pouvoir me mettre à mon bureau et de traduire sur le long terme.
Je ne me suis pas sentie perdue au contraire. Je me suis dit : « On y est ! ».

5) Comment se sont passées tes séances de tutorat ?
Caroline était en train de traduire un livre. On traduisait des extraits et elle notait les propositions qu’on faisait. Ensuite, chacune devait préparer dix pages avant le tutorat et après, elle dirigeait le cours et on discutait.
Lors de la dernière séance, Caroline nous a demandé de faire un petit état de nos « casseroles ».
On devait arriver avec notre liste et elle nous aidait à démarrer la traduction longue.

6) Quel genre de problèmes as-tu rencontrés lors de ta traduction longue ?
Le vocabulaire. Mais j’ai toujours trouvé des solutions.
Le mode d’écriture n’était pas facile à gérer non plus, comme je te l’ai dit.
Le problème que je n’ai pas réussi à résoudre est le manque de vivacité du texte.

7) Au contraire, qu’est ce qui t’a semblé simple, qu’as-tu apprécié traduire ?
L’exercice en lui-même.
Avoir un objectif sur le long terme, ça m’a vraiment plu.
J’ai appris plein de choses. J’habite en Bretagne, on n’a pas d’oliviers là-bas !
Et puis, tu te remets en question. Il ne faut jamais rien prendre pour acquis et ne jamais rien laisser au hasard.

8) Dernière question : Comment as-tu travaillé, concrètement ?
Pour le premier jet, il fallait résoudre les problèmes de vocabulaire de suite.
J’ai tout tapé à l’ordinateur directement. Ensuite, j’ai imprimé.
Pour le deuxième jet, je travaillais sur le texte imprimé et je rentrais mes corrections sur l’ordinateur.
J’ai fait ça dix fois (dix jets).
Vers le 3-4 août, je me suis vraiment sentie stressée.
On a relu le texte à deux voix (avec ma mère) ce qui nous a pris deux jours. C’est très long mais c’est une étape primordiale. Je me suis rendu compte que j’avais oublié des mots ou mal relu certains passages.
Ça ne pardonne pas d’oublier !

mercredi 27 octobre 2010

Rebondissement

1er octobre 1950
par Mérantaise

Aujourd’hui, la maîtresse nous a demandé d’écrire une histoire avec des rebondissements.
Moi, j’aime pas trop ça les rédactions. Je fais pas beaucoup de fautes mais j’ai pas souvent des bonnes idées. En plus avec les stylos-plume de l’école, je fais toujours des pâtés. D’ailleurs je me demande comment ils faisaient avant pour écrire avec des vraies plumes. Mamie me disait qu’ils avaient même pas d’effaceurs, les gens d’avant!
Puis d’abord, c’est quoi des rebondissements dans une histoire ?
C’est comme ce que fait une balle rebondissante quand elle saute partout ? Papa, il aime pas cette balle parce qu’à cause d’elle, des fois, je casse des trucs.
Ah ! Mais peut-être que c’est des rebondissements de ballon sinon… Mon frère, il fait du basket, j’aurais pu parler de ça ! Je connais les règles par cœur.
Mais je crois que c’est pas ça qu’elle disait la maîtresse…
J’ai même pas osé demander parce que les autres de la classe, ils se moquent tout le temps. Du coup j’ai pas compris et j’aurai une mauvaise note, je suis sûre…
Rebondissement, ça veut dire qu’il faut que le texte soit gros ? Comme un ventre rebondi ? Le ventre de mon grand-père est comme ça en plus, je sais de quoi je parle ! On dirait qu’il est plein d’air et qu’il va s’envoler avec, si ça continue. Tout comme les ballons qu’on trouve aux kermesses. D’ailleurs, maman, elle veut jamais m’en acheter des comme ça. Elle dit que dans deux jours il va être crevé et que si je le laisse s’envoler, je vais encore pleurer.
Mais moi, je pleure pas tant que ça. D’ailleurs c’est les bébés qui pleurent et les bébés, ils font pas de rédactions.
Moi en fait, pour ma rédaction, j’ai raconté l’histoire d’une fille qui savait pas faire les histoires. C’est bizarre hein. Elle se plaignait toujours. Sa maîtresse la grondait et ses copains se moquaient d’elle, sans arrêt. Elle était très, très triste. Mais un jour, elle a trouvé une plume magique et là, sa vie est devenue magique aussi et elle a su écrire de belles histoires pour toujours.

jeudi 21 octobre 2010

Rose

Bouton de coccinelle par LittleKbleu

Durant mes pérégrinations dans les rosiers voisins, il m’arrive parfois de périlleuses aventures.
Hier, j’ai même frôlé la mort, c’est pour dire !
Le matin, en me levant, j’avais repéré une rose vraiment appétissante. Elle était d’un rouge carmin magnifique, strié de blanc. Des perles de rosée parsemaient ses pétales charnus et la rendaient encore plus alléchante.
Comme j’avais l’eau à la bouche, j’entrepris d’escalader le rosier. Il était gigantesque! Et bien sûr, pour mon plus grand malheur, la plus belle de ses fleurs était aussi la plus haute. Mais peu importe, j’avais trop faim.
Je gravis donc l’amas de feuilles et de branches, petit à petit. J’humais avec plaisir les effluves des toutes belles, comme j’aime à les nommer.
Ce fut long mais je vis enfin la tige de ma chère rose qui se dressait, toute fière.
Je dus esquiver toutes les immenses épines pour ne pas glisser et j’arrivai enfin sous les pétales. J’enfouis ma tête dans ceux-ci et j’entrepris de me frayer un chemin dans cette masse odorante.
Quelle odeur… Un parfum à la fois sucré et piquant émanait de toute la fleur. Arrivé sur son cœur, je le mordais à plein rostre. Un festin !
J’étais tellement concentré que je ne vis pas arriver celle qui hantait mes nuits depuis que j’étais petit. Combien de fois avais-je entendu « Si tu n’arrêtes pas tes bêtises, j’appelle la coccinelle ce soir ! » Brr, ça me faisait froid dans le dos !
Et là, mon pire cauchemar était à deux pattes de moi. Elle s’approcha lentement mais d’un air déterminé. Elle était d’un rouge et d’un noir profonds. Le monstre agita son corps dans une sorte de transe effrayante et déploya ses élytres. Me faisant tout petit, j’espérais qu’elle ne m’ait pas vu… Mais il n’en était rien. Elle se posa tout près de ma tête. Elle ouvrait et fermait sa mandibule et je crus qu’elle allait m’avaler sur le champ.
J’eus juste le temps de m’enfoncer un peu plus profondément dans le cœur de la rose. La créature diabolique resta un long moment à observer ma cachette. Quand, tout à coup, mes amis arrivèrent. Je n’osais pas bouger de peur qu’elle revienne vers moi. Ma lâcheté fut punie par la vision horrible de mes congénères en train de se faire dévorer.
Lorsque la coccinelle fut repartie, je sortis de ma rose bien-aimée et dus traverser ce qui restait du festin de la monstrueuse. Plus jamais je ne me laisserai guider par la gourmandise… Foi de puceron !

samedi 16 octobre 2010

Arturo Pérez Reverte, El maestro de esgrima

Antes de salir de casa se había acicalado con esmero, resuelto a causar buena impresión en la que, sin duda, era madre de un futuro alumno. Al llegar a la puerta se arregló cuidadosamente la corbata, golpeando después la pesada aldaba de bronce que pendía en las fauces de una agresiva cabeza de león. Extrajo el reloj del bolsillo del chaleco y consultó la hora : siete menos un minuto. Aguardó, satisfecho, mientras escuchaba el sonido de unos pasos femeninos que se acercaban por un largo pasillo. Tras un rápido correr de cerrojos, el rostro agraciado de una doncella le sonrió bajo una cofia blanca. Mientras la joven se alejaba con su tarjeta de visita, entró don Jaime en un pequeño recibidor amueblado con elegancia. Las persianas estaban bajas y por las ventanas abiertas se oía el rumor de los carruajes que circulaban por la calle, dos pisos más abajo. Había testeros con plantas exóticas, un par de buenos cuadros en las paredes y sillones ricamente tapizados en terciopelo de seda carmesí. Pensó que se las iba a ver con un buen cliente, y ello le hizo sentirse optimista. No estaba de más, habida cuenta de los tiempos que corrían.

La doncella regresó al cabo de un momento para rogarle que pasara al salón tras hacerse cargo de sus guantes, bastón y chistera. La siguió por la penumbra del pasillo. La sala estaba vacía, así que cruzó las manos a la espalda e hizo un breve reconocimiento de la estancia. Deslizándose entre las cortinas semiabiertas, los últimos rayos del sol poniente agonizaban despacio sobre las discretas flores azul pálido que empapelaban las paredes. Los muebles eran de extraordinario buen gusto ; sobre un sofá inglés campeaba un óleo de firma, mostrando una escena dieciochesca : una joven vestida de encajes se columpiaba en un jardín, mirando expectante por encima del hombro, como si aguardase la inminente llegada de alguien muy deseado. Había un piano con la tapa del teclado abierta y unas partituras en el atril. Se acercó a echar un vistazo : Polonesa en fa sostenido menor. Federico Chopin. Sin duda, la poseedora del piano era una dama enérgica.

***

Avant de sortir de chez lui, il s’était pomponné avec soin, résolu à faire bonne impression à celle qui, vraisemblablement, était la mère d’un futur élève. En arrivant devant la porte, il arrangea sa cravate avec précaution, frappant ensuite le lourd heurtoir de bronze, qui pendait entre les  mâchoires d’une tête de lion agressive. Il sortit sa montre de la poche de son gilet et consulta l’heure : dix-huit heures et cinquante neuf minutes. Il patienta, satisfait, tout en entendant le bruit de pas féminins qui s’avançaient dans un long couloir. Après un rapide tour de verrou, sous une coiffe blanche, le visage ravissant d’une domestique lui sourit. Alors que la jeune fille s’éloignait avec sa carte de visite, don Jaime pénétra dans un petit vestibule meublé avec élégance. Les persiennes étaient abaissées et par les fenêtres ouvertes, on entendait la rumeur des coches qui circulaient dans la rue, deux étages plus bas. Il y avait des pots de plantes exotiques, deux jolis tableaux sur les murs et des fauteuils richement tapissés de velours de soie cramoisie. Il songea qu’il allait avoir affaire à un bon client, et ceci le rendit optimiste. Ce n’était pas de trop, compte tenu des temps qui couraient.

Au bout d’un moment, la domestique revint pour lui prier d’entrer dans le salon après l’avoir débarrassé de ses gants, de sa canne, ainsi que de son chapeau haut de forme. Il la suivit dans la pénombre du corridor. La pièce était vide : il croisa donc les mains derrière son dos et il procéda à une brève reconnaissance des lieux. Comme ils se glissaient entre les rideaux entrouverts, les derniers rayons du soleil couchant mouraient doucement sur les discrètes fleurs bleu pâle qui couvraient les murs. Les meubles étaient d’un bon goût extraordinaire ; sur un canapé anglais ressortait une peinture à l’huile, qui représentait une scène du dix-huitième : une jeune femme vêtue de dentelle chaloupait dans un jardin, en regardant de façon expectante par-dessus son épaule, comme si elle attendait l’arrivée imminente de quelqu’un qu’elle estimait beaucoup. Un piano avec le couvercle du clavier ouvert et des partitions sur le pupitre se trouvait là. Il s’approcha pour jeter un coup d’œil : Polonaise en fa dièse mineur. Frédéric Chopin. Sans doute la propriétaire du piano était-elle une dame énergique.

vendredi 15 octobre 2010

À venir...

Deux entretiens : L'un avec Amélie Rioual, ancienne apprentie traductrice à Bordeaux (promo 2009-2010 Aline Schulman) et l'autre avec les libraires de Contraportada, librairie espagnole située à Bordeaux (rue St James).

jeudi 14 octobre 2010

Dans la salle d'attente


 photo : Salle d'attente par natdia




L'inspiration a eu du mal à venir...
Voici mon texte : 




Les salles d’attente sont un milieu me permettant d’observer toute sorte de personnes à plaisir.
Je les nomme « spécimens » car ils sont pour moi bien mystérieux et j’aime les étudier comme le ferait un scientifique dans son laboratoire.
Il est curieux de voir comment les êtres humains évoluent dans un espace qu’ils fréquentent peu (je dis peu en étant optimiste. Ces données dépendent évidemment de chacun et je généralise). Je disais donc que les êtres humains ont tous un comportement particulier en salle d’attente et que même si on ne le détecte pas tout de suite, il est intéressant de se pencher sur ce phénomène. Pour illustrer mes dires, voici une liste (non exhaustive, bien entendu), de « spécimens » bien particulier.

D’abord, un type très fréquent : l’enfant angoissé. Accroché au bras de sa mère (ou de son père, ou bien des deux), il gémit. Il semble infatigable et est assez bon acteur. Qu’il vienne pour un vaccin ou pour un rhume, il est intenable. Le parent, souvent gêné par l’attitude de sa progéniture va lui proposer toute sorte de bonbons, de jouets, de livres… Mais rien n’y fait.
Certains de ces enfants mettent à l’épreuve les tympans des patients présents eux aussi dans la salle d’attente. Dorénavant, munissez-vous de bouchons d’oreilles, on ne sait jamais.

Autre cas à opposer au premier : l’enfant qui joue. Celui-ci ne se soucie guère de ce qui se passe derrière la porte de la salle d’attente. Il touche à tout, se promène, parle à tout le monde. Il pose des questions indiscrètes sur les autres patients (dis, maman, pourquoi la dame elle est grosse ? dis, papa, pourquoi le monsieur il sent pas bon ? et j’en passe). L’enfant qui joue joue, bien évidemment. Il se roule par terre, il hurle, il rit fort. Et ses parents sont fiers de lui car le petit bambin n’a peur de rien.

Passons maintenant aux adultes.
Le voisin aimable est un « spécimen » que l’on aime croiser dans la rue le matin ou inviter à dîner le week-end. Mais le croiser dans la salle d’attente est un calvaire.
Il tousse, se mouche et vous serre la main (ou vous fait la bise, c’est selon). « Eh bah alors ! Ca fait un moment qu’on ne s’est pas croisés ! Allez j’te fais la bise ! Boh j’ai la gastro mais c’est pas bien grave ».
On ne va pas en mourir, certes. Mais non merci…

Dans le genre plus distant mais tout aussi malade, on trouve parfois le « spécimen » que je qualifie de solitaire. Il ne doit croiser personne en journée car dans la salle d’attente, tout est pour lui matière à disserter.
« Bonjour, vous venez pour quoi ? Ah oui… Moi c’est pour une grippe je crois. Vous savez la grippe, il paraît que même quand on est vacciné… » Et c’est parti pour une demi-heure.

Autre « spécimen » moins bavard mais tout aussi insupportable : la grand-mère soit disant tête en l’air. Elle a toute sa tête mais veut vous persuader du contraire. Derrière son sourire édenté se cache une personne vile. Il y a tout de même quelques exceptions, qui elles perdent vraiment la tête.
Un exemple de leurs prouesses : Vous avez rendez-vous à 11h. Vous arrivez à 10h50. La grand-mère tout sourire est installée. Vous lui demandez gentiment :
— Vous avez rendez-vous à quelle heure ? 
— A 11h ! 
— Ah tiens, moi aussi… C’est bizarre. Pourtant j’ai vérifié avant de partir…
Le médecin arrive. « Ah tiens Madame Trucmuche ! Mais vous aviez rendez-vous à 10h ! »
— Ah bon, vous êtes sûre ? 
— Mais oui ! Allez, venez me voir.
*Petit sourire de la grand-mère dans votre direction*
Et voilà, trois quart d’heure d’attente en perspective…

La grand-mère tout sourire n’est jamais stressée. Il y a cependant d’autres cas bien plus préoccupés. Ce genre de personne ne veut d’ailleurs pas le montrer. Pour oublier ce qui l’attend, elle saisit un magazine (datant généralement de deux années auparavant). Elle s’y plonge en prenant un air passionné ou bien très sérieux. Le signe qui la trahit : la jambe qui tremble.
Ceux qui ne sont pas atteints par le syndrome de la tremblote reposent souvent leur journal pour s’essuyer ou se frotter les mains (devenues moites).

Enfin, il y a les gens qui ont l’air parfaitement normaux. Peut-être ne les ai-je pas encore assez observés et que leurs failles m’apparaîtront d’ici peu de temps.
J’ai déjà remarqué à plusieurs reprises certains d’entre eux qui me regardaient longuement. Peut-être étaient-ils en train de se demander à quelle classe de « spécimens » j’appartenais…

Eugenio Cambaceres, En la sangre

Je ne suis pas vraiment satisfaite de la traduction que je propose. Ce texte m'a posé pas mal de problèmes au niveau du vocabulaire.
Notamment avec "changas", "faturas", "contra-señas" (= contraseñas??) et le tout début du texte (pas vraiment français :s)
A vos commentaires...!!

Así nació, llamáronle Genaro y haraposo y raquítico, con la marca de la anemia en el semblante, con esa palidez amarillenta de las criaturas mal comidas, creció hasta cumplir cinco años.
De par en par abriole el padre las puertas un buen día. Había llegado el momento de serle cobrada con réditos su crianza, el pecho escrofuloso de su madre, su ración en el bodrio cotidiano.
Y empezó entonces para Genaro la vida andariega del pilluelo, la existencia errante, sin freno ni control, del muchacho callejero, avezado, hecho desde chico a toda la perversión baja y brutal del medio en que se educa.
Eran, al amanecer, las idas a los mercados, las largas estadías en las esquinas, las changas, la canasta llevada a domicilio, la estrecha intimidad con los puesteros, el peso de fruta o de fatura ganado en el encierro de la trastienda.
El zaguán, más tarde, los patios de las imprentas, el vicio fomentado, prohijado por el ocio, el cigarro, el hoyo, la rayuela y los montones de cobre, el naipe roñoso, el truco en los rincones.
Era, en las afueras de los teatros, de noche, el comercio de contra-señas y de puchos. Toda una cuadrilla organizada, disciplinada, estacionaba a las puertas del Colón, con sus leyes, sus reglas, su jefe; un mulatillo de trece años, reflexivo y maduro como un hombre, cínico y depravado como un viejo.

***

Ainsi donc, il naquit. On l’appela Genaro et il grandit déguenillé et rachitique, le visage marqué par l’anémie, avec cette pâleur jaunâtre des enfants mal nourris, jusqu’à ce qu’il ait cinq ans.
Un beau jour, son père lui ouvrit tout grand la porte. Le moment était venu pour lui de rembourser avec des intérêts son éducation, la poitrine scrofuleuse de sa mère et son bol de soupe quotidien.
Commença alors pour Genaro la vie vagabonde de galopin, l’existence errante, sans frein ni contrôle, du gamin des rues, habitué, familier depuis tout petit à toute la perversion abjecte et brutale du milieu dans lequel il est élevé.
Il y avait, le matin, les départs aux marchés, les longs moments passés à l’angle des rues, les manigances, le panier rapporté à la maison, l’étroite intimité avec les marchands et le poids de fruits ou de gâteaux gagné dans le fond de l’arrière-boutique.
L’entrée, plus tard, les cours des imprimeries, le vice encouragé, choisi à cause de l’oisiveté, le cigare, le trou, la marelle et les tas de cuivre, la carte crasseuse et les parties de Truco au coin des rues.
Il y avait, aux abords des théâtres, de nuit, le commerce des mots de passe et des mégots. Toute une bande organisée, disciplinée, traînait aux portes du Colón, avec leurs lois, leurs règles, leur chef ; un mulâtre âgé de treize ans, réfléchi et mature comme un homme, cynique et dépravé comme un vieillard.

vendredi 8 octobre 2010

Adolfo Bioy Casares, Las aventuras del capitán Morris

Morris no tenía miedo ; tal vez si hubiera conocido el miedo se hubiera defendido mejor. Afortunadamente, le interesaban las mujeres, "y usted sabe cómo les gusta agrandar los peligros y lo cavilosas que son". La otra vez la enfermera le había tomado la mano para convencerlo del peligro que lo amenazaba; ahora Morris la miró en los ojos y le preguntó el significado de la confabulación que había contra él. La enfermera repitió lo que había oído: su afirmación de que el 23 había probado el Breguet en El Palomar era falsa; en El Palomar nadie había probado aeroplanos esa tarde. El Breguet era de un tipo recientemente adoptado por el ejército argentino, pero su numeración no correspondía a la de ningún aeroplano del ejército argentino. "¿Me creen espía?", preguntó con incredulidad. Sintió que volvía a enfurecerse. Tímidamente, la enfermera respondió: "Creen que ha venido de algún país hermano." Morris le juró como argentino que era argentino, que no era espía; ella pareció emocionada, y continuó en el mismo tono de voz : "El uniforme es igual al nuestro ; pero han descubierto que las costuras son diferentes." Agregó : "Un detalle imperdonable", y Morris comprendió que ella tampoco le creía. Sintió que se ahogaba de rabia, y, para disimular, la besó en la boca y la abrazó.

***



Morris n’avait pas peur ; peut-être que s’il avait connu la peur, il se serait mieux défendu. Heureusement, les femmes l’intéressaient, « et vous savez combien elles aiment amplifier les dangers et à quel point elles sont soucieuses ». La dernière fois, l’infirmière lui avait pris la main pour le persuader du danger qui le menaçait ; or, Morris la regarda dans les yeux et lui demanda quelle était la signification du complot qu’il y avait contre lui. L’infirmière répéta ce qu’elle avait entendu : son affirmation selon laquelle le 23 avait essayé le Breguet dans Le Pigeonnier était fausse ; personne n’avait essayé d’aéroplanes dans Le Pigeonnier cette après-midi. Le Breguet était un modèle récemment adopté par l’armée argentine, mais sa numérotation ne correspondait pas à celle des aéroplanes de l’armée argentine. « Ils pensent que je suis un espion ? », interrogea-t-il, incrédule. Il sentit qu’il s’emportait à nouveau. Timidement, l’infirmière répondit : « Ils pensent que vous êtes venu d’un pays ami. » Morris lui jura comme un argentin qu’il était argentin, qu’il n’était pas un espion ; elle eût l’air touchée et elle poursuivit sur le même ton de voix : « L’uniforme est pareil au nôtre ; mais ils ont découvert que les coutures étaient différentes. » Elle ajouta : « Un détail impardonnable ». Alors, Morris comprit qu’elle non plus ne le croyait pas. Il sentit que la rage le prenait à la gorge et pour le lui cacher, il l’embrassa sur les lèvres et la prit dans ses bras.

Lettre à mon avocat

lebazardernestin.free.fr
Monsieur le Cornu                                                                                        Dité,le 05 octobre 2010
Rue du Cocyte   
Dité
06 666 666                                                                                                   Maître Alighieri
                                                                                                                     Avocat à la Cour
                                                                                                                     Strada del Convivio
                                                                                                                     Firenze






Cher Maître,

Dans le cadre de l’affaire – ou devrais-je dire des affaires – me concernant, j’aurais aimé revenir sur certains points.
Pour commencer, je ne citerai pas l’affaire du triple meurtre de la semaine dernière… Mais que faites-vous donc mon cher ? Qu’attendez-vous ? Que mon courroux s’abatte sur vous ?
N’êtes-vous pas sensé me défendre, vous qui restez coi devant les jurés ?
Et l’affaire du crime passionnel ? Bon, je le conçois, je me suis bien amusé à tenter cet homme en mettant sous son nez une créature de rêve créée spécialement pour l’occasion. Mais est-ce ma faute si la femme de ce monsieur n’apprécie pas la plaisanterie ? Avait-elle besoin de couper ce pauvre malheureux en morceaux ?
Parlons maintenant de cet homme qui abuse de cette vieille femme pour s’accaparer toute sa fortune. Qu’en penser ? Cette histoire prend une ampleur démesurée et il me semble que ceci n’est pas de mon fait.
Enfin, pour ce qui est de la dernière affaire, je dois avouer que je suis allé un peu loin. Cette petite avait l’air candide et tout à fait innocente. Je n’ai pas pu résister… Mais elle aussi, dans un sens, l’avait bien cherché.
Alors je ne vous le dirai pas deux fois mon cher : cherchez des solutions, proposez des alternatives, soyez ferme nom de Dieu !
Pardonnez ma vulgarité mais vous savez bien à quoi vous attendre avec moi.
On dit de moi que je suis indéfendable. Cependant, je crois que vous pouvez faire mieux.
Je vous donne énormément de travail, certes, mais je vous demande de tenir bon.
L’issue n’en sera que plus agréable et pleine de délices.
Nous avons conclu un pacte, ne me décevez pas.

Je vous défie de croire, Maître, en ma considération distinguée.

S.

Entretien avec Charles Mérigot des éditions La Ramonda

Charles et Monique Mérigot sont éditeurs à Paris. Leur maison d’édition, La Ramonda, a été créée en 2006.
J’avais rencontré Charles Mérigot au Salon du Livre de Paris en mars 2010 et nous avions discuté sur le stand. Il m’avait conseillé un livre (que j’ai adoré et que je vous conseille : Esperando el Cierzo de Ánchel Conte) et m’avait demandé de lui dire ce que j’en pensais après ma lecture.
Nous avions donc échangé quelques mails pour parler du livre et je me suis tournée naturellement vers lui pour cet entretien…

1) Bonjour, j'aimerais d'abord que vous me présentiez la maison d'édition, son origine. Quand a-t-elle été créée, par qui, où se trouve-telle ?
Les éditions de la Ramonda ont été fondées en novembre 2006, par Charles et Monique Mérigot et un autre associé sous forme d’une SARL, avec un capital de 1500 euros. Auparavant, Charles Mérigot avait écrit un livre édité par la Ramonda en cours de constitution et vendu en régime de « couveuses d’entreprise ». Ce livre Le dit de la cymbalaire, vendu au départ en souscription, a permis de comprendre les diverses techniques de maquette, corrections, ventes et promotion d’un ouvrage. Aujourd’hui, ce livre en est à 1600 exemplaires. L’idée des fondateurs était d’éditer des textes principalement (ou au départ) dans deux domaines :
a) les récits de vie et témoignages
b) la littérature ibérique et au départ, les ouvrages d’auteurs aragonais
L’entreprise est implantée à Paris, dans le 20e arrondissement. En 2009, plusieurs personnes m’ayant demandé si elles pouvaient nous aider, nous avons procédé à une augmentation de capital, qui est maintenant de 30 000 euros et nous sommes 11 associés. Ce qui, bien sûr, nous permet de nous développer.
Nous avons décidé d’ajouter à cette activité d’édition une activité de librairie de livres en espagnol ou dans les langues d’Espagne. (Nous vendons donc les livres que nous aimons en espagnol et en français). Nous vendons des livres en aragonais aussi et demain sans doute en catalan et galicien.

2) Quelle sorte de livres vendez-vous ?

Pour le moment nous éditons les deux types de livres ci-dessus (témoignages sans lien particulier avec l’Espagne – récits traduits de l’espagnol) et nous vendons une troisième type de livres : ceux de nos amis éditeurs espagnols.

3) Comment êtes vous devenu éditeur ?
En devenant d’abord auteur d’un livre, suite à une intervention remarquée (parue dans la revue Esprit de juin 2005 et reprise dans plusieurs journaux ou revues). Ensuite l’envie de faire connaitre des textes et des auteurs que nous aimons et qui sont moins connus que d’autres du fait de l’étroitesse des manies littéraires des « prescripteurs ». En clair nous pensons que de nombreux excellents textes passent inaperçus du fait du système actuel de promotion du livre.

4) Lorsque nous avions discuté au Salon du Livre, vous m'aviez dit que les livres provenaient d'auteurs venant d'Aragon. Pourquoi cette région en particulier ?
Par passion (nous aimons la richesse culturelle de cette région que nous connaissons bien (ou que nous apprenons à connaitre). D’autre part les auteurs aragonais éloignés du « pouvoir des prescripteurs » sont de ce fait excellents, ils ont des choses à dire et les disent bien. Ils apprécient de travailler avec nous et c’est réciproque. Les éditeurs aragonais sont enchantés de même.

5) Vous voyagez souvent en Espagne pour votre travail il me semble. Quel est le lien que vous entretenez avec les auteurs ?
Les auteurs que nous publions deviennent nos amis. Nos relations sont il me semble excellentes.

6) Vous traduisez vous-même, non ? Quel est votre rapport aux traducteurs, comment travaillez-vous avec eux ?
Pour le moment, sur les trois livres traduits les deux premiers ont été traduits par une traductrice et corrigés par moi, le troisième a été traduit par la même traductrice et moi-même. Les deux suivants en cours le sont par moi-même. Enfin un autre livre a été traduit du français vers l’espagnol par un traducteur d’origine espagnole. Les relations avec les traducteurs : nous nous envoyons les textes par mail et faisons de nombreuses relectures successives. Monique Mérigot relit ensuite les traductions finales et cela entraine ensuite d’autres relectures de la part des traducteurs.

7) Vos livres sont disponibles sur internet : vous avez en quelque sorte votre propre librairie. Travaillez-vous tout de même avec d'autres libraires ? Si oui, quel est votre rapport avec eux ?

Oui, nous travaillons avec tous les libraires qui le souhaitent. (nous sommes notre propre diffuseur). Depuis 4 ans nous avons reçus des commandes d’environ 250 à 300 libraires différents dans plusieurs pays : surtout France bien sur, mais aussi Espagne, Suisse, Canada, Belgique… Mais nous cherchons surtout à monter un réseau de libraires de qualité qui s’intéressent à nos livres. Nous en avons quelques uns et ceux la vendent très bien nos livres. Le Bouquetiniste à Val d’Isère a vendu plus de 1000 ex du même roman aragonais. La librairie de Deauville en a vendu plus de 500…
Nos relations sont ce qu’en font les libraires : très chaleureuses ou amicales avec ceux qui trouvent le temps de lire les livres, elles sont commerciales avec ceux qui vendent des livres en les considérant comme des marchandises (ces libraires là sont rares). Elles sont difficiles dans certains cas : lorsque le libraire croit que les livres en vogue sont forcément les meilleurs ou sont ceux que le « public demande ». Ceux qui confondent la mode littéraire et le bon goût littéraire.

8) Combien de livres vendez-vous par an environ ?Heureusement, le nombre augmente.
Environ 800 en 2006. Environ 1500 en 2007. Environ 2200 en 2008. Environ 4000 en 2009. Environ 5500 sans doute en 2010

9) Comment choisissez-vous ces livres ?En les lisant !!

10) Vous m'avez dit être une petite maison d'édition "atypique". En quoi l'êtes-vous ?
Cette expression « maison d’édition atypique » m’a un peu échappé. Je crois qu’une maison d’édition qui n’est pas « atypique » n’a pas beaucoup de chances de survivre. Je crois d’ailleurs que c’est le rôle d’une maison d’édition d’être atypique. Nous le sommes parce que nous nous positionnons sur des créneaux dont on nous dit qu’ils ne « peuvent pas marcher ». Parce que par exemple, pour nous, un auteur espagnol ne vit pas forcément à Madrid ou à Barcelone. Nous essayons d’éditer de bons textes qui diffèrent des tartes-à-la-crème consensuelles dans tel ou tel cercle. Nous essayons de donner la parole à des auteurs qui parlent un peu moins d’eux et un peu plus des autres et du monde tel qu’il est. Nous croyons très fort à la parole de Michel Torga « l’universel c’est le local moins les murs » et pour cela nous refusons l’étiquette « régionaliste ».
Bref plus qu’atypique nous sommes surtout à contre-courant. Si j’osais je reprendrai assez volontiers ce mot de Molière « l’essentiel est de plaire ». Il se trouve que de plus, souvent, ce qui plait à tout un chacun est aussi ce qu’il y a de beau. (j’exclus bien sûr les goûts formatés). Des Exemples : en 4e de couverture du « givre sur les épaules » j’ai eu la « mauvaise idée » de mettre le mot «berger » (il s’agit d’un roman dont le héros est un berger aragonais). Ce seul mot fait fuir : beaucoup de libraires, de journalistes à la mode, de profs…
Mais il se trouve que nous vendons très bien ce livre, et qu’il est apprécié aussi bien de grands intellectuels que de personnes qui lisent peu. Nous l’avons traduit en français et venons de signer un contrat avec une grande maison d’édition pour qu’il le soit en italien et en anglais. Il sera édité à New-York prochainement et distribué par Penguin.

11) Quel regard portez-vous sur le monde de l'édition ?

Il n’y a pas de monde de l’édition. Quelques cinq ou six maisons d’éditions industrielles peuvent, à la rigueur, parce qu’elles industrialisent la production et la vente de livres croient qu’elles constituent « le monde de l’édition » (pour combien de temps en feront-elles partie face aux deux grands groupes mondiaux d’informatique ?). Le reste, en France est constitué d’éditeurs, des artisans, souvent passionnés, et qui cherchent les lecteurs de leurs textes. Ce sont des gens forts sympathiques, bizarres souvent. Je déplore beaucoup en revanche le manque de goût littéraire de quelques uns. J’essaie surtout de repenser aux Humanistes : auteurs, un peu éditeurs-libraires, des réformateurs ou des révolutionnaires qui se sont permis de revisiter la pensée des anciens, en ont découverts les merveilles et par là, ont à leur tour écrit des chefs-d’œuvre. À l’heure où les « machines multimédias », les logiciels… nous donnent la possibilité de « faire » un livre du texte à l’objet fini, je crois que c’est vers eux qu’il faut regarder. Cela est peut-être peu clair. Je voulais dire que puisque nous disposons aujourd’hui de merveilleuses machines qui nous permettent de presque tout faire nous-mêmes, il faut revenir à un travail à taille humaine où l'éditeur, comme à la Renaissance peut maquetter, dessiner, illustrer, composer… bref, faire un livre de A à Z (ou presque). Dans ce domaine encore plus que dans les autres, la spécialisation à outrance me permet dommageable à la qualité du livre contrairement à ce que j’entends affirmer souvent. Grâce à ces machines (les ordinateurs) on peut retrouver le « sens » du travail sur le livre puisque l’on peut en voir la fabrication entière (ou presque). Bien sur on peut améliorer l’aspect du livre-objet en utilisant des techniciens ou des spécialistes pointus, mais sans oublier que le livre c’est d’abord un texte ! Le Quichotte est un « bon livre » même sur du papier d’emballage ! Et quoiqu’on dise c’est le texte (et les illustrations bien sur) qui nous fait rêver ! Aujourd’hui aussi des auteurs écrivent de bons textes, c’est ceux-là qu’il faut faire connaître.

12) Enfin, comment voyez-vous l'évolution de votre propre maison d'édition ?
Je n’en sais rien. Je crois qu’il nous faut dégager des moyens pour poursuivre cette quête de bons textes. J’aimerais étendre notre recherche à tout le monde ibérique (au portugais aussi donc, catalan, galicien) puis au monde latin (français, occitan et italien). Mais je crois surtout qu’en allant à contre-courant (raisonnablement) nous sommes dans la bonne voie car les lecteurs nous attendent. Si je regarde le chemin parcouru en quatre ans, j’ai bon espoir dans l’avenir, mais comme je ne le connais pas, je fais ce que je crois devoir être fait. Après cela ne dépend pas de moi.

Pour plus d’infos : http://www.laramonda.com

Mario Benedetti, Gracias por el fuego

La ventana se abre a la calma chicha. Allá abajo, los plátanos. Por lo menos la mitad de las hojas están inmóviles, y el movimiento de las otras es apenas un estremecimiento. Como si alguien les hiciera cosquillas. Transpiro como un condenado. El aire está tenso, pero ya sé que nada va a estallar. ¿Qué puedo decirme? Éste es el momento, estoy seguro. En los días en que estuve alegre, siempre me falseé, siempre creí en lo que no soy, la vida color de rosa, etcétera. En las noches en que me sentí tan mal como para llorar a gritos, no lloré a gritos sino silenciosamente, tapado por la almohada. Pero allí también uno exagera. No se puede ser lúcido con el pecho
hinchado de congoja, o de desesperación. Mejor llamémosle desesperación. Sólo para mí, claro. Que los demás cuelguen sus etiquetas: hipocondría, neurastenia, luna. Yo he llegado a un pacto conmigo mismo y por eso la llamo desesperación. Éste es el momento, estoy seguro,
porque no estoy alegre ni desesperado. Estoy, cómo decirlo, simplemente tranquilo. No, ya me falseo. Estoy horriblemente tranquilo. Así está mejor.

***

La fenêtre s’ouvre sur le calme plat. Là, en bas, les platanes. Au moins la moitié des feuilles sont immobiles et le mouvement des autres est à peine un frémissement. Comme si quelqu’un les chatouillait. Je transpire comme un condamné. L’air est tendu, cependant je sais déjà que rien ne va exploser. Que puis-je me dire ? C’est le moment, j’en suis certain. Les jours durant lesquels j’ai été joyeux, je me suis toujours menti, j’ai toujours cru à ce que je ne suis pas, la vie en rose, et cætera. Les nuits durant lesquelles je me suis senti si mal au point de pleurer bruyamment, je n’ai pas pleuré bruyamment mais en silence, la tête sous mon oreiller. Mais là aussi c’est exagéré. On ne peut pas être lucide lorsqu’on a la poitrine gonflée d’angoisse, ou de désespoir. Appelons plutôt cela du désespoir. Uniquement pour moi, bien sûr. Que les autres collent leurs étiquettes : hypocondrie, neurasthénie, versatilité. Moi, j’ai conclu un pacte avec moi-même et c’est pour cela que je l’appelle désespoir. C’est le moment, j’en suis certain, parce que je ne suis ni joyeux, ni désespéré. Je suis, comment dire, simplement tranquille. Non, je me mens encore. Je suis horriblement tranquille. Comme ça c’est mieux.

Gioconda Belli, El pais bajo mi piel

Antonio Belli murió joven, de cirrosis. Cuando crecieron y se casaron sus hijos, la «abuelita Carlota», como llamábamos a mi bisabuela, mandó levantar una pared en medio del gran patio interior de su amplia y hermosa casa señorial de techos de tejas y gruesas paredes, y la dividió en dos. En una parte se quedó viviendo ella con su hija, Elena, casada con un abogado, y la otra se la dio a mi papá, que era como su hijo, para que la ocupáramos nosotros. Las dos casas se comunicaban entre sí a través de un arco en el corredor. La de mi tía Elena era alegre y bulliciosa. Sus hijas, María Elena, María Eugenia y Carlota, mis primas, eran mayores que yo. La menor, a quien llamábamos «Toti» para diferenciarla de la abuela, me llevaba sólo cinco o seis años y era mi ídolo. Era traviesa, divertida, coqueta a más no poder, y me reclutaba como cómplice incondicional de sus travesuras, que usualmente consistían en espiar incesantemente a las mayores, que empezaban a salir con muchachos y a tener novios.

***

Antonio Belli mourut jeune, d’une cirrhose. Lorsque ses fils grandirent et qu’ils se marièrent, « mamie Carlota », comme nous appelions mon arrière-grand-mère, demanda à ce qu’on dressât un mur au centre de la grande cour intérieure de sa jolie et spacieuse maison cossue aux toits de tuiles et aux murs épais ; ensuite elle la divisa en deux. Elle resta vivre dans une partie avec sa fille, Elena, mariée à un avocat et elle donna l’autre à mon père, qui était comme son fils, afin que nous l’occupassions. Les deux maisons communiquaient entre elles grâce à une arche située dans le couloir. Celle de ma tante Elena était joyeuse et animée. Ses filles, María Elena, María Eugenia et Carlota, mes cousines, étaient plus âgées que moi. La plus jeune –que nous surnommions « Toti » pour la différencier de la grand-mère–, avait seulement cinq ou six ans de plus que moi et elle était mon idole. Elle était espiègle, drôle, on ne peut plus coquette et elle m’engageait comme complice inconditionnel de ses espiègleries qui, d’ordinaire, consistaient à épier sans cesse les plus grandes, qui commençaient à sortir avec des garçons et à avoir des fiancés.

Max Aub, La uña

Querida mujercita mía: Siempre me dices que te cuente cosas de mis viajes. Créeme, esto es lo más tonto del mundo; todos los puertos son iguales y, na­turalmente, todos los países son los mismos; si no fuese por la lejanía que me separa de ti, me figuraría estar en nuestro puerto y surcando nuestro mar cons­tantemente; hace más calor, hace más frío, según; pero eso también lo tenéis vosotros naturalmente, sin moveros, con el invierno y el verano, no como noso­tros, que parece que nos los vayamos fabricando a placer.
El no poder vivir contigo en nuestra casa, es lo que me hace notar las distancias; miro el mapa y me digo; estoy a tantas horas de las zapatillas rojas con bordados negros, que me regalaste para mi san­to, hace dos años. Pero, referente a cuanto me pre­guntas acerca de impresiones nuevas, te repito que todo es igual a nuestro puerto y a nuestro mar. Lo demás, querida, son historias.

***

Ma petite femme chérie :
Tu me demandes sans arrêt de te raconter des anecdotes de mes voyages. Crois-moi, c’est la chose la plus bête du monde ; tous les ports sont identiques et naturellement, tous les pays sont les mêmes. Si une telle distance ne me séparait pas de toi, je jurerais me trouver dans notre port et être constamment en train de sillonner notre mer. Il se met à faire plus chaud, il se met à faire plus froid, c’est selon ; mais vous ressentez certainement ceci vous aussi, sans vous déplacer, grâce à l’hiver et à l’été. Pas comme nous qui avons l’air de nous les fabriquer à l’envi. Ne pas pouvoir vivre avec toi dans notre maison est ce qui me fait ressentir l’éloignement : je regarde la carte et je me dis que je suis à tant d’heures des chaussons rouges brodés de noir que tu m’as offerts pour ma fête, il y a deux ans. Cependant, en ce qui concerne toutes les questions que tu me poses à propos de nouvelles impressions, je te répète que tout est semblable à notre port et à notre mer. Le reste, ma chérie, ce sont des histoires.

Bernardo Atxaga, Un traductor en París

No había ninguna posibilidad de ayudarme, pero mis amigos trataron de franquear esa molesta realidad poniéndose en mi lugar y empujándome hacia lo que parecía una salida. "Deberías hacer un viaje", me decían, "un viaje te vendrá bien". A veces, cuando yo me mostraba especialmente testarudo o cuando me burlaba de sus aparentes buenas intenciones, que no tenían, les decía yo, otro objetivo que el de perderme de vista por una temporada, alguno de ellos se encolerizaba conmigo y me reprochaba mi actitud: "¿Sabes cómo se le llama a lo tuyo? Pues se le llama negativismo, agresividad, deseo de culpabilizar a los demás. Pero no se puede vivir así. Hay mucha gente que, a pesar de haber tenido accidentes bastante más graves que el tuyo, supera el trance y continúa adelante con optimismo". Ante invectivas como aquélla, yo permanecía mudo, como si el accidente también hubiera afectado a mi voz, y formaba, mentalmente, una respuesta que podría denominarse filológica : "Si estuviéramos en el siglo XIX", pensaba, "mi bienintencionado amigo no habría dicho negativismo, agresividad, deseo de culpabilizar a los demás, sino que se habría referido a la flaqueza, al rencor, a la envidia que el desgraciado siente hacia los que ríen y parecen vivir felices". No era, esa reacción mía, señal de desprecio hacia mi amigo; era, simplemente, cansancio, aburrimiento, indiferencia hacia la cháchara consoladora. Porque, para decirlo con una palabra que lo mismo sirve para el XIX que para el XX, la idea de que lo bueno o lo malo de esta vida dependen de la actitud es una paparrucha.

***
Il n’y avait aucun moyen de m’aider, mais mes amis essayèrent de dépasser cette réalité dérangeante en se mettant à ma place et en me poussant vers ce qui semblait être une issue. « Tu devrais faire un voyage », me disaient-ils, « un voyage te ferait du bien ». Parfois, lorsque je me montrais particulièrement entêté, ou lorsque je me moquais de leurs supposées bonnes intentions, je leur répondais qu’ils n’avaient pas d’autre but que celui de me perdre de vue pour un moment. L’un d’eux se mettait en colère contre moi et me reprochait mon attitude : « Sais-tu comment on appelle ce dont tu souffres ? Eh bien on l’appelle négativisme, agressivité, désir de faire culpabiliser les autres. Sauf qu’on ne peut pas vivre ainsi. Il y a de nombreuses personnes qui, bien qu’elles aient eu des accidents beaucoup plus graves que le tien, surmontent cette épreuve et vont de l’avant avec optimisme. » Face à de telles injures, je restais coi, comme si l’accident avait aussi affecté ma voix et je préparais, mentalement, une réponse que l’on pourrait qualifier de philologique : « Si nous étions au XIXème siècle », pensais-je, « mon ami bien-intentionné n’aurait pas parlé de négativisme, d’agressivité, de désir de faire culpabiliser les autres, mais il aurait fait référence à la faiblesse, à la rancœur, à l’envie que le malheureux ressent vis-à-vis de ceux qui rient et qui semblent vivre heureux ». Cette réaction que j’ai eue n’était pas une marque de mépris à l’égard de mon ami : c’était, simplement, de la fatigue, de l’ennui, de l’indifférence à la rengaine consolatrice. Parce que, pour le dire avec un mot qui sert autant pour le XIXème que pour le XXème siècle, l’idée que le bien et le mal de cette existence dépendent du comportement est une foutaise.

Miguel Ángel Asturias, El Señor Presidente

Miguel Cara de Ángel, el hombre de toda la confianza del Presidente, entró de sobremesa.
—¡Mil excusas, señor Presidente! —dijo al asomar a la puerta del comedor. (Era bello y malo como Satán)—. ¡Mil excusas, Señor Presidente, si vengo-ooo... pero tuve que ayudar a un leñatero con un herido que recogió de la basura y no me fue posible venir antes! ¡Informo al Señor Presidente que no se trataba de persona conocida, sino de uno así como cualquiera!
El Presidente vestía, como siempre, de luto riguroso: negros los zapatos, negro el traje, negra la corbata, negro el sombrero que nunca se quitaba; en los bigotes canos, peinados sobre las comisuras de los labios, disimulaba las encías sin dientes, tenía los carrillos pellejudos y los párpados como pellizcados.
—¿Y se lo llevó adonde corresponde?... —interrogó desarrugando el ceño...
—Señor...
—¡Qué cuento es ése! ¡Alguien que se precia de ser amigo del Presidente de la República no abandona en la calle a un infeliz herido víctima de oculta mano!
Un leve movimiento en la puerta del comedor le hizo volver la cabeza.
—Pase, general...
—Con el permiso del Señor Presidente...
—¿Ya están listos, general?
—Sí, Señor Presidente...
—Vaya usted mismo, general; presente a la viuda mis condolencias y hágale entrega de esos trescientos pesos que le manda el Presidente de la República para que se ayude en los gastos del entierro.
El general, que permanecía cuadrado, con el quepis en la diestra, sin parpadear, sin respirar casi, se inclinó, recogió el dinero de la mesa, giró sobre los talones y, minutos después, salió en automóvil con el féretro que encerraba el cuerpo de ese animal.
Cara de Ángel se apresuró a explicar:
—Pensé seguir con el herido hasta el hospital, pero luego me dije: «Con una orden del Señor Presidente lo atenderán mejor.» Y como venía para acá a su llamado y a manifestarle una vez más que no me pasa la muerte que villanos dieron por la espalda a nuestro Parrales Sonriente...
—Yo daré la orden...
—No otra cosa podía esperarse del que dicen que no debía gobernar este país...
El Presidente saltó como picado.
—¿Quiénes?
—¡Yo, el primero, Señor Presidente, entre los muchos que profesamos la creencia de que un hombre como usted debería gobernar un pueblo como Francia, o la libre Suiza, o la industriosa Bélgica o la maravillosa Dinamarca!... Pero Francia..., Francia sobre todo... ¡Usted sería el hombre ideal para guiar los destinos del gran pueblo de Gambetta y Víctor Hugo!

***


Miguel Tête d'Ange, le bras droit du Président, arriva alors que tout le monde s'attardait à table.
— Mille excuses, Monsieur le Président! -lança-t-il en passant la tête par la porte de la salle à manger. (Il était beau et mauvais comme Satan)-. Mille excuses, Monsieur le Président, j'arriiii-iiive... mais j'ai du aider un bûcheron qui avait récupéré un blessé dans les ordures et je n'ai pas pu venir avant! Je tiens à informer Monsieur le Président qu'il ne s'agissait pas d'une personne connue, mais de Monsieur tout-le-monde!
Le Président portait rigoureusement, comme toujours, ses habits de deuil : les chaussures noires, le costume noir, la cravate noire, le chapeau noir qu'il ne quittait jamais; sous sa moustache blanche, lissée sur les commissures de ses lèvres, il cachait ses gencives édentées. Il avait les joues flasques et ses paupières avaient l'air pincées.
— Il l'a donc conduit là où il faut?... -interrogea-t-il en défronçant les sourcils...
— Monsieur...
— Qu'est ce que c'est que cette histoire! Quelqu'un qui se vante d'être l'ami du Président de la République n'abandonne pas en pleine rue un malheureux blessé victime d'une main occulte!
Un bref mouvement sur le pas de la porte de la salle à manger lui fit tourner la tête.
— Entrez, général...
— Avec votre permission, Monsieur le Président...
— Ils sont déjà prêts, général?
— Oui, Monsieur le Président...
— Allez-y vous même, général; présentez mes condoléances à la veuve et remettez-lui ces trois-cent pesos que lui envoie le Président de la République pour participer aux frais de l'enterrement.
Le général, qui restait au garde-à-vous, le képi incliné sur la droite, sans ciller, presque sans respirer, s'inclina, récupéra l'argent posé sur la table, tourna les talons et quelques minutes après, partit en voiture avec le cercueil qui renfermait le corps de cet animal.
Tête d'Ange s'empressa d'expliquer :
— J'ai pensé conduire le blessé jusqu'à l'hôpital, mais ensuite je songeai : «Avec une ordonnance de Monsieur le Président, ils s'en occuperont mieux.» Et comme je me rendais ici-même à votre demande et pour vous faire savoir une fois de plus que je ne supporte pas que des scélérats aient tué par derrière notre Parrales Tout Sourire...
— Je rédigerai l'ordonnance...
— On ne pouvait attendre autre chose de celui dont on dit qu'il ne devait pas gouverner ce pays...
Le Président bondit comme vexé.
— Qui?
— Moi le premier, Monsieur le Président, entre tous ceux que nous sommes à soutenir l'idée qu'un homme comme vous devrait gouverner un peuple comme la France, ou la libre Suisse, ou l'industrieuse Belgique ou le merveilleux Danemark!... Mais la France..., la France surtout... Vous seriez l'homme idéal pour guider les âmes du grand peuple de Gambetta et de Victor Hugo !

Matilde Asensi, El origen perdido

Para nuestra desesperación y la de los médicos, Daniel no mejoró en absoluto durante los dos días siguientes. Diego y Miquel estaban tan perplejos por la ineficacia de los fármacos que, el viernes a última hora, decidieron cambiarle el tratamiento, pese a lo cual Miquel reconoció ante mi madre que, a esas alturas y viendo la total falta de evolución en cualquier sentido, albergaba ciertas dudas sobre una rápida y completa recuperación de mi hermano; a lo sumo, dijo, cabía esperar una ligera mejoría para finales de la siguiente semana o principios de la otra. Quizá estaba curándose en salud, exagerando por si las moscas, preparando el terreno por lo que pudiera pasar, pero, en cualquier caso, nos dejó destrozados, sobre todo a Clifford, que envejeció diez años en apenas unos minutos.
La presencia de mi abuela alivió mucho la presión que sufría la familia ya que, a las pocas horas de llegar, había organizado los turnos de tal manera que podíamos reconstruir nuestras vidas casi con normalidad, salvo por unos pequeños ajustes que a nadie molestaban porque se trataba de estar con Daniel. Mi abuela era una mujer fuerte y recia como un roble, con una gran capacidad de gestión y una cabeza infinitamente mejor amueblada que la de mi madre, a la que siempre ponía firme en cuanto se desmandaba en su presencia. Rápidamente se apoderó del relevo de la noche, enviándonos a Ona y a mí de vuelta a casa para dormir a las horas correctas. No pude evitar sospechar que, en breve, haría un montón de amigas y conocidas en la cafetería del hospital y que, pronto, aquel lugar se parecería a la plaza de Vic un domingo por la mañana después de misa.

***
A notre désespoir et à celui des médecins, Daniel n'alla pas mieux du tout au cours des deux jours suivants. Diego et Miquel étaient si perplexes face à l'inéfficacité des médicaments que, le vendredi au dernier moment, ils décidèrent de lui changer son traitement. Ceci malgré le fait que Miquel ait reconnu devant ma mère que, à cette date et au vu du manque total d'évolution dans quelque sens que ce soit, il nourrissait certains doutes quant à une guérison rapide et complète de mon frère ; tout au plus, dit-il, pouvait-on espérer une légère amélioration pour la fin de la semaine suivante ou bien pour le début de celle d'après. Peut-être était-il en train de prendre ses précautions, en exagérant au cas où, en préparant le terrain pour parer à toute éventualité. Mais, en tout cas, il nous laissa abattus : surtout Clifford, qui prit dix ans en quelques minutes à peine.
La présence de ma grand-mère permit de bien relâcher la pression que subissait ma famille, puisque, dans les heures qui suivirent son arrivée, elle avait instauré les tours de garde de telle sorte que nous pouvions reconstruire nos vies presque normalement, sauf pour quelques petits ajustements qui ne dérangeaient personne étant donné qu'il était question d'être avec Daniel. Ma grand-mère était une femme forte et solide comme un chêne. Elle était dotée d'une grande capacité de gestion et d'un esprit bien mieux organisé que celui de ma mère, qu'elle réprimandait dès que celle-ci n'en faisait qu'à sa tête en sa présence. Elle se chargea rapidement de la relève de nuit, nous renvoyant à la maison Ona et moi pour que nous nous couchions à des heures correctes. Je ne pus m'empêcher d'imaginer que, très vite, elle se ferait un tas d'amies et de connaissances à la caféteria de l'hôpital et que, bientôt, ce lieu ressemblerait à la place de Vic un dimanche matin après la messe.

Almudena de Artega del Alcázar, La vida privada del emperador

En cualquier fortaleza de Castilla, a mediodía, los ruidos de caballerizos, cocinas, niños jugando y demás servidumbre suelen proporcionar vida a la casa fuerte, pero, cuando entramos en aquel patio, el silencio lo asolaba de tal modo que el sonido de los cascos de Nuestros caballos se dijera el de campanas que tocaran a muerte.
Desmontamos.
Una dama que ni se presentó nos condujo escaleras arriba, abrió una puerta y nos dejó solos ante una mujer completamente vestida de negro cuya toca de viuda hacia resaltar aún más aquellos ojos rasgados y oscuros.
Carlos se acercó a ella, se inclinó respetuosamente y le besó la diestra cerrada.
Madre se mantuvo un largo rato en silencio.
—¡Qué cambiados estáis! —dijo abriendo la mano—. ¿Habéis ido a ver a vuestro padre? Si os he reconocido es por esta moneda. ¿Sabéis?, ya acuñan los escudos con nuestras caras enfrentadas. La verdad es que no sé por qué no ponen también a nuestro lado a Fernando.
En su impasibilidad, Carlos no pudo evitar un respingo.
Supongo que sus pensamientos eran los míos.
¿La enfermedad de mi madre habría sido aprovechada por nuestro hermano para hacerle firmar algún papel que no conocíamos?
Porque no podía referirse a nuestro abuelo Fernando.
¿O acaso estaba tan recluida en sí misma que no sabía que su padre había muerto de lesión cardiaca y, después de ser amortajado con el hábito de dominico, había sido enterrado en Granada, junto a la abuela Isabel?

***
Dans n'importe quelle forteresse de Castille, à midi, le bruit des palefreniers, des cuisines, des enfants en train de jouer et du reste des domestiques fait habituellement vivre la demeure fortifiée. Mais, lorsque nous entrâmes dans cette cour, elle était si ravagée par le silence qu'on eût dit que le son des sabots de nos chevaux était celui de cloches qui annonceraient la mort.
Nous mîmes pied à terre.
Une dame qui ne se présenta même pas nous conduisit en haut des escaliers, ouvrit une porte et nous laissa seuls devant une femme totalement vêtue de noir et dont le voile de veuve faisait d'autant plus ressortir les yeux sombres et en amande.
Carlos s'approcha d'elle, s'inclina avec respect et lui baisa la main droite qu'elle maintenait fermée.
Mère garda le silence un long moment.
- Comme vous avez changé! -dit-elle en ouvrant la main-. Vous êtes allés rendre visite à votre père? Si je vous ai reconnus, c'est grâce à cette pièce. Le savez-vous? On frappe déjà les écus avec nos visages disposés face à face. Je dois avouer que je ne sais pas pourquoi ils ne mettent pas aussi Fernando à nos côtés.
En dépit de son impassibilité, Carlos ne put réprimer un sursaut.
J'imagine que nous songions à la même chose.
Notre frère aurait-il profité de la maladie de ma mère pour lui faire signer quelque document que nous ne connaissions pas?
Car elle ne pouvait pas faire allusion à notre grand-père Fernando.
Ou peut-être était-elle si renfermée sur elle-même qu'elle ne savait pas que son père était mort des suites d'une lésion cardiaque et que, après avoir été mis en bière en habit dominicain, il avait été enterré à Grenade, près de grand-mère Isabel?

Le facteur a sonné

:) par Elimeon

Huguette se réveilla en sursaut. Elle crut entendre le son cristallin de la petite cloche du portail mais elle ne sut pas très bien si elle rêvait ou si celle-là avait vraiment tinté.
Elle regarda son réveil. La petite aiguille pointait sur le quatre. Elle porta ensuite son regard sur son mari : il dormait profondément. Huguette décida de se rendormir quand la cloche sonna à nouveau. Elle se leva et jeta un coup d’œil par la fenêtre. Elle aperçu le facteur et enfila un peignoir à la hâte pour ne pas prendre froid.
— Que se passe t-il ?
— Bien le bonjour, madame !
— Mais enfin ! Il est quatre heures du matin !!
— Madame, vous devriez le savoir, il n’y a pas d’heure pour lire de la poésie.
— De la… ? Bon… Mettez-moi le courrier dans la boîte, je le prendrai plus tard. Je retourne me coucher.
— Enfin, Huguette, ne partez pas si vite… Je sais que la poésie vous passionne. Laissez-vous tenter. S’il vous plaît…
— Moi ? Mais…
— Oui, vous ! Il ne vous en coûtera qu’une seule pièce de monnaie. Pour deux quatrains et deux tercets, avouez que c’est donné !
Huguette lui rit au nez :
— Et que vais-je faire de vos sonnets à l’heure qu’il est ? Pardonnez-moi monsieur, je tombe de sommeil…
— Oh non ! Restez ! Et cessez donc de marmonner.
— Bon… Et de quoi traitent vos poèmes mon cher postier ?
— D’Amour. Celui-ci parle d’ailleurs d’un chevalier chevauchant son destrier ailé et qui se trouve un jour désarçonné. Sa princesse à son réveil le retrouve blessé et tout décontenancé. L’amoureux ridiculisé choisit de fuir le pays de sa bien-aimée. Mais de ce qui advint de ces deux amants, je ne saurais vous le conter. Pour ceci, il faut payer.
— Bien, bien…
Huguette lui tendit alors une pièce qui semblait être apparue à l’instant dans sa poche. Elle ne réfléchit pas longtemps à ce détail et préféra rentrer au chaud.
Lorsqu’elle se réveilla, la pauvre femme était seule.
À côté d’elle, sur le chevet, se trouvait un petit papier plié.
Elle l’ouvrit et découvrit sous la forme d’un sonnet les adieux de son mari parti dans la nuit.

Dulce Chacón, La voz dormida

En silencio y en orden abandonan la sala las mujeres hacia el sótano de la prisión de Ventas. Y Elvira le contesta, a Tomasa, que no tiene frío.
—Pero tengo hambre.
Pero tiene hambre. Tiene tanta hambre como en el puerto de Alicante, cuando esperaba un barco que nunca llegó, y a su madre se le acabaron las joyas y ya no tenía nada para cambiar por chocolate a la guardia italiana que los vigilaba, y el dinero republicano ya no era de curso legal, y los billetes que había ahorrado doña Martina envejecían inútiles en el fondo de una caja de caoba, una caja preciosa que había comprado su padre en Guinea. Porque su padre había vivido en Guinea, antes de conocer a su madre, antes de que lo trasladaran a Pamplona y luego a Burgos, donde se casó con ella y nació Paulino. Su padre había vivido en muchos sitios. Elvira sólo en dos: nació en Valencia, y no salió de Valencia hasta que la trajeron aquí, a esta ciudad que ni siquiera conoce, de la que ha visto tan sólo una plaza de toros, muy bonita, a través de los barrotes de la puerta del furgón. Ni siquiera conoce Alicante, sólo vio una calle con muchas palmeras camino del puerto.
Pero su padre conocía bien todas las ciudades en las que vivió, y de cada una de ellas conservaba un recuerdo. De Malabo se trajo la cajita de madera donde su madre guardaba los ahorros, pero se trajo también una dolencia en el estómago que le obligó a abandonar el ejército cuando la ley de Azaña. Era teniente cuando se retiró. Y Elvira recuerda que su madre se puso muy contenta. Pero no se puso tanto cuando volvió a incorporarse, aunque le hubieran ascendido a capitán. No se puso nada contenta. Fue al principio de la guerra, y el batallón donde su padre era capitán se llamaba Alicante Rojo. Así lo escribía su padre en las cartas, Batallón Alicante Rojo, delante de la fecha y detrás de ¡Viva la República!
Dos días después de recibir el primer ¡Viva la República!, que llegó desde Segorbe, un pueblo de Castellón, Paulino entró en casa con un papel en la mano.
En la boca, Paulino escondía una sonrisa.
—Me he alistado como voluntario, mamá.
Su madre abandonó el peine y la melena roja de Elvira:
—Eres demasiado joven.
—No.
No, replicó Paulino con firmeza mostrándole el papel que llevaba en la mano. Su madre continuó peinando a Elvira:
—Eres demasiado joven, Paulino.
No añadió nada más; acostumbrada a que las decisiones de los hombres no se discuten. Paulino ya es un hombre, le había escrito su marido en la primera carta, y la República le necesita.
Cuando la madre, doña Martina, acabó de anudar una cinta en la cola de caballo que le había hecho a Elvira, la niña corrió a la habitación de su hermano.
—¿Tú también te vas a la guerra?
—Mueve la coleta como a mí me gusta, chiqueta.
El cabello de Elvira azotó el aire a izquierda y derecha, y su hermano aprovechó los ojos cerrados de la niña para tirar de un extremo del lazo.
—Mamá, mamá, Paulino me ha deshecho la coleta. Paulino se marchó al frente esa misma tarde. Acababa de cumplir diecinueve años.

***

C’est en silence et en ordre que les femmes quittent la salle pour la cave de la prison de Ventas. Alors, Elvira répond à Tomasa qu’elle n’a pas froid.
Par contre j’ai faim.
Par contre elle a faim. Elle a aussi faim que dans le port d’Alicante, lorsqu’elle attendait un bateau qui n’est jamais venu, que sa mère n’avait plus de bijoux et qu’elle n’avait plus rien à échanger contre du chocolat auprès des gardes italiens qui les surveillaient, que la circulation de l’argent républicain n’était plus légale, que les billets que doña Martina avait économisés vieillissaient inutiles au fond d’une boîte en acajou, une précieuse boîte que son père avait achetée en Guinée. Car son père avait vécu en Guinée avant de connaître sa mère, avant qu’on ne le transfère à Pampelune et ensuite à Burgos, où il s’est marié avec elle et où Paulino est né. Son père avait vécu en de nombreux endroits. Elvira seulement en deux : elle est née à Valence jusqu’à ce qu’on l’emmène ici, dans cette ville qu’elle ne connaît même pas et dont elle a seulement vu des arènes, très jolies, à travers les barreaux de la porte du fourgon. Elle ne connaît même pas Alicante ; elle a juste vu une rue pourvue de nombreux palmiers sur la route du port.
Mais son père connaissait bien toutes les villes dans lesquelles il a vécu, et il gardait un souvenir de chacune d’elle. Il rapporta de Malabo la petite boîte en bois où sa mère gardait les économies, mais il rapporta aussi une maladie de l’estomac qui l’obligea à abandonner l’armée lorsque la loi Azaña est passée. Il était lieutenant quand il a pris sa retraite. Et Elvira se rappelle que sa mère fut très contente. Mais elle ne le fut pas autant quand il y entra à nouveau, même si on l’avait promu au grade de capitaine. Elle ne fut pas contente du tout. Ceci arriva au début de la guerre, et le bataillon dans lequel son père était capitaine s’appelait Alicante Rouge. C’est ainsi que son père l’écrivait dans ses lettres, Bataillon Alicante Rouge, avant la date et après Vive la République !
Deux jours après avoir reçu le premier Vive la République !, qui arriva de Segorbe, un village de Castellón, Paulino rentra chez lui un papier à la main.
Sur ses lèvres, Paulino dissimulait un sourire.
Je me suis engagé comme volontaire, maman.
Sa mère lâcha le peigne et la chevelure rousse d’Elvira :
Tu es trop jeune.
Non.
Non, répondit Paulino avec fermeté, en lui montrant le papier qu’il avait à la main. Sa mère poursuivit tout en peignant Elvira :
Tu es trop jeune, Paulino.
Elle n’ajouta rien de plus ; habituée à ce que les décisions des hommes ne se discutent pas. Paulino est déjà un homme, lui avait écrit son mari dans sa première lettre, et la République a besoin de lui.
Lorsque la mère, doña Martina, termina de nouer un ruban sur la queue de cheval qu’elle avait faite à Elvira, l’enfant courut jusque dans la chambre de son frère.
Toi aussi tu pars à la guerre ?
Fais bouger ta couette comme j’aime, fillette.
Les cheveux d’Elvira fouettèrent l’air de gauche à droite, et son frère profita des yeux fermés de l’enfant pour lui tirer un bout du nœud.
— Maman, maman, Paulino a défait ma couette. Paulino s’en alla au front cette même après-midi. Il venait d’avoir dix-neuf ans.

Palissade

Honeysuckle par GypsyMist
Lorsque je m’installe sur ma chaise longue pour paresser, j’aime être au plus près de la palissade.
« Quelle curieuse lubie ! » me direz-vous. Mais elle m’attire malgré moi.
Non seulement parce qu’elle m’apporte une ombre bienfaisante et qu’elle me protège des regards indiscrets mais aussi parce qu’elle met en éveil mes sens.
L’ouïe d’abord… Confortablement étendue, je perçois le chant des oiseaux, le vent qui glisse entre les feuilles des arbres et les insectes qui peuplent mon jardin. Mais la palissade semble vivre, elle aussi. Elle craque comme une vieille maison. Le bois travaille et je me délecte de ses sons. Ils m’intriguent d’ailleurs. Alors je tends la main.
Le toucher… Le bois est rugueux mais doux à la fois. Sensation plaisante. Quelques échardes s’échappent et me piquent. Alors j’observe.
La vue… Des rainures sont tracées dans chaque planche. Et je remarque la couleur particulière du pin qui prend une teinte grisâtre avec le temps. Il y a du vert aussi, par petites touches : un chèvrefeuille grimpe allègrement. Ses fleurs blanches qui virent ensuite au jaune m’émerveillent. Une petite brise fait parvenir leur suave odeur jusque dans mes narines.
L’odorat… Quel plaisir ! A l’odeur des petites fleurs se mêle celle du bois. Mais pas cette odeur de bois que l’on peut percevoir lors de balades en forêt. Celle-ci est plus forte, plus piquante. Tentée, je cueille une fleur de chèvrefeuille.
Le goût… Je tire doucement sur la base de la fleur et l’étamine descend. Une petite goutte transparente et odorante apparaît le long de la petite tige… Quel doux nectar…
Je recommence alors en savourant ces petites perles sucrées.
L’été ne sera bientôt plus, il faut en profiter.

Mario Benedetti, Mellizos

MELLIZOS
Leandro y Vicente Acuña eran gemelos, tan pero tan iguales que ni siquiera los padres eran capaces de dife­renciarlos. No era raro que uno de los dos cometiera un desaguisado y la bofetada correctiva la recibiera el otro. En la etapa estudiantil todas fueron ventajas. Se repartían cuidadosamente las materias. Si eran ocho, cada uno estudiaba cuatro y rendía dos veces el mismo examen, una como Leandro y otra como Vicente. Para ese par de aprovechados la sinonimia orgánica constituía normalmente una diversión, y cuando se encontraban a solas repasaban, a carcajada limpia, las erratas de la jornada.
Leandro era un centímetro más alto que Vicente, pero nadie andaba con un metro para comprobarlo. Por añadidura, ambos usaban boinas, una verde y otra azul, pero se las intercambiaban sin el menor es­crúpulo.
El problema sobrevino cuando conocieron a las hermanas Brunet: Claudia y Mariana, también mellizas gemelas y turbadoramente idénticas. Como era previsible, los Acuña se enamoraron de las Brunet y viceversa. Dos a dos, seguro, pero quién de quién.
Claudia creyó prendarse de Leandro, pero su pri­mer beso apasionado lo recibió Vicente. Ese error también originó el conflicto interno entre los Acuña, y no fue totalmente resuelto con el recurso del humor.
En otra ocasión, Vicente fue al cine con Mariana.
Cuando la película llegó a su fin y se encendieron las luces, ella contempló el brazo desnudo del mellizo de turno, y dijo, con un poco de asombro y otro poco de sorna: «Ayer no tenías ese lunar».
El desenlace de aquellas semejanzas encadenadas fue más bien sorpresivo. Una tarde en que Claudia viajaba en un taxi junto a su padre, al chofer le vino un repentino desmayo y el coche se estrelló con­tra un muro. El chofer y el padre quedaron malheri­dos pero sobrevivieron. Claudia, en cambio, murió en el acto.
En el concurrido velatorio, Leandro y Vicente se abrazaron con una llorosa y angustiada Mariana. De pronto ella puso distancia con el doble abrazo, y se dirigió, con paso inseguro, a la habitación donde ya­cía el cuerpo de la pobre Claudia. Los mellizos se mantuvieron, en respetuoso silencio, simplemente como dos más en el grupo de dolientes.
Pasados unos minutos, reapareció Mariana. Con una servilleta, suplente de pañuelo, enjugó su última edición de lágrimas. Los mellizos la miraron inqui­sidoramente, como preguntándole: «Y ahora ¿con quién?».
Ella entonces englobó a ambos con una declara­ción que era sentencia irrevocable: «Espero que com­prendan que ahora sólo soy la mitad de mí misma. Gracias por haber venido. Ahora vayanse. No quiero verlos nunca más».
Se fueron, claro, cabizbajos y taciturnos. Horas más tarde, ya en su casa, Leandro tomó la palabra: «Hermanito, creo que se acabó nuestro doblaje. De ahora en adelante, tenemos que diferenciarnos. Digamos que yo me tiño de rubio y vos te dejas la bar­ba. ¿Qué te parece?».
Vicente asintió, con gesto grave, y sólo tuvo áni­mo para comentar: «Está bien. Está bien. Pero te su­giero que mañana vayamos al fotógrafo para que nos tome nuestra última imagen de mellizos».

***

JUMEAUX
Leandro et Vicente Acuña étaient des jumeaux, tellement mais tellement ressemblants que même leurs parents étaient incapables de les différencier. Il n’était pas rare que l’un des deux fasse une bêtise et que ce soit l’autre qui reçoive la gifle corrective. L’époque de leurs études ne fut qu’avantages. Ils se distribuaient soigneusement les matières. S’il y en avait huit, chacun en étudiait quatre et rendait deux fois le même examen, l’un au nom de Leandro et l’autre au nom de Vicente. Pour ces deux profiteurs la synonymie organique était généralement une distraction, et lorsqu’ils se retrouvaient seuls ils se rappelaient, en riant comme des baleines, les erreurs de leur journée.
Leandro faisait un centimètre de plus que Vicente, mais personne ne se promenait avec un mètre pour le vérifier. En prime, tous deux portaient un béret, l’un vert et l’autre bleu, mais ils se les échangeaient sans le moindre scrupule.
Les complications survinrent quand ils firent la connaissance des sœurs Brunet : Claudia et Mariana, elles aussi jumelles et identiques de façon troublante. Comme on aurait pu le prévoir, les Acuña tombèrent amoureux des Brunet et vice-versa. Deux par deux, bien sûr, mais qui avec qui ?
Claudia crut s’éprendre de Leandro, mais ce fut Vicente qui reçut son premier baiser passionné. Cette erreur contribua aussi à créer le conflit interne entre les Acuña, et l’humour ne suffit pas à le régler complètement.
Une autre fois, Vicente alla au cinéma avec Mariana.
Lorsque le film se termina et que les lumières se rallumèrent, elle contempla le bras nu du jumeau de garde, et dit, à la fois étonnée et moqueuse : « Tu n’avais pas ce grain de beauté hier ».
Le dénouement de ces ressemblances enchaînées fut plutôt surprenant. Durant une après-midi où Claudia circulait en taxi avec son père, le chauffeur fut soudainement pris d’un malaise et la voiture s’écrasa contre un mur. Le chauffeur et le père furent grièvement blessés mais ils survécurent. Claudia, par contre, mourut sur le coup.
Lors de la veillée funèbre où du monde affluait, Leandro et Vicente serrèrent dans leurs bras une Mariana en pleurs et angoissée. Brusquement elle s’éloigna de cette double étreinte, et elle se dirigea, d’un pas incertain, vers la chambre dans laquelle gisait le corps de la pauvre Claudia. Les jumeaux observèrent un silence respectueux, simplement, comme deux membres qui s’ajoutaient au cercle des endeuillés.
Quelques minutes après, Mariana réapparu. À l’aide d’une serviette, qui lui servait de mouchoir, elle sécha son dernier flot de larmes. Les jumeaux la regardèrent de façon inquisitrice, comme s’ils lui demandaient : « Et maintenant, tu choisis qui ? ».
Alors, elle s’adressa à tous les deux avec une déclaration qui s’apparentait à une sentence irrévocable : « J’espère que vous comprenez que désormais je ne suis plus que la moitié de moi-même. Merci d’être venus. Maintenant allez-vous-en. Je ne veux plus jamais vous voir ».
Ils partirent, bien sûr, la tête basse et sans dire un mot. Des heures plus tard, arrivés chez eux, Leandro prit la parole : « Petit frère, je crois qu’on va arrêter notre manège. Dorénavant, on doit se différencier. Disons que moi je me teins en blond et que toi tu te laisses pousser la barbe. Qu’en penses-tu ? ». Vicente acquiesça, le visage grave, et il eu juste le courage de répondre : « D’accord. D’accord. Mais je te propose d’aller demain chez le photographe pour qu’il prenne une dernière photo de nous en tant que jumeaux ».